J'espère que le castrisme n'aura été qu'une parenthèse
LEXPRESS.fr du 7/12/2006
Cuba
«J'espère que le castrisme n'aura été
qu'une parenthèse»
propos recueillis par Marc Epstein et Pierre Ganz (RFI) dans
le cadre de l'émission RFI-L'Express L'invité de la semaine
Né à La Havane, Jacobo Machover vit en France depuis 1963. Ecrivain (1) et journaliste, il est surtout un homme libre
Qui gouverne, à La Havane?
L'armée révolutionnaire. Depuis le 31 juillet dernier, quand la passation
«provisoire» des pouvoirs a été annoncée - de Fidel Castro à Raul, son frère
cadet, âgé de 75 ans - il existe une sorte de vide. Nominalement, la succession
se fait au bénéfice de Raul, et celui-ci reste chef de l'armée et ministre de la
Défense. Toutefois, tant que Fidel demeure malade et hospitalisé, Raul éprouve
sans doute des difficultés à s'imposer dans l'appareil.
Comment va
Fidel?
Selon les Américains, il aurait un cancer du côlon. Avec une
chimiothérapie, il devrait vivre environ dix-huit mois, toujours selon
Washington. S'agit-il de spéculations? C'est fort possible. Mais sa longue
absence est révélatrice de la gravité de sa maladie: en temps normal, c'est un
homme qui aime les caméras... Autre signe: l'un de ses derniers discours était
totalement incohérent.
Après sa disparition, que peut-il se passer?
J'espère de tout mon cœur qu'il n'y aura pas de guerre civile, mais le
risque existe. Car les rancœurs sont très fortes, au sein de la population,
surtout à l'égard des comités de défense de la révolution - ce que l'on appelle
les mouchards - dont les membres ont dénoncé parfois leurs voisins, quand ils ne
les ont pas envoyés en prison. Heureusement, il me semble qu'il y a une volonté
largement partagée de rompre avec le culte de la violence, entretenu par le
régime castriste.
Y a-t-il des leçons à tirer des événements en Europe
centrale, après la chute du bloc soviétique?
L'idéal serait que Cuba connaisse une «révolution de velours», comme dans
l'ex-Tchécoslovaquie. Mais le pays compte peu de personnages comparables à
Vaclav Havel. Le système castriste s'est chargé d'éliminer les dissidents, de
mille façons.
Quand elle parviendra au pouvoir, l'opposition actuelle
s'appuiera-t-elle sur les structures actuelles de l'Etat?
Je pense que non. Le système tient à la personnalité d'un seul homme. Quand
celui-ci aura disparu, il faudra inventer une organisation nouvelle. Les quelque
2 millions d'exilés représentent un espoir. Parmi les jeunes, en particulier, le
désir de reconstruction l'emporte désormais sur celui de revanche. Mon espoir
est que le castrisme n'aura été qu'une simple parenthèse.
Votre livre
circule-t-il à Cuba?
Oui, dans une version clandestine. La tradition des samizdat perdure, comme
autrefois en URSS.
Il reste de nombreux admirateurs de Fidel. Etes-vous
sensible à l'argument selon lequel Castro est, malgré tout, l'homme qui a prouvé
que l'on pouvait résister aux Etats-Unis?
Absolument pas. Que signifie ce «malgré tout»? Malgré quoi? Un demi-siècle de répression? Des pénuries permanentes? L'exil de 2 millions d'habitants? Des aventures guerrières, en Afrique et en Amérique latine? Il y a d'autres façons d'exister face aux Etats-Unis. Au nom de l'anti-américanisme, beaucoup ont permis n'importe quoi et appuyé la plus longue dictature du XXe siècle. Ces gens-là auront à rendre des comptes, y compris en France: Ignacio Ramonet, le directeur du Monde diplomatique, Gérard Depardieu, Danièle Mitterrand, Christian Poncelet, président du Sénat... Je ne les ai jamais entendus dénoncer la répression qui s'est abattue sur les intellectuels et les opposants à Fidel.
(1) Cuba, totalitarisme tropical (10/18).
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/cuba/dossier.asp?ida=454476