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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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2 novembre 2006

Cuba après Castro, l'armée en position d'arbitreCuba après Castro, l'armée en position d'arbitre

Cuba après Castro, l'armée en position d'arbitreCuba après Castro, l'armée en position d'arbitre
LE MONDE | 02.11.06 | 14h51  •  Mis à jour le 02.11.06 | 14h51


Depuis trois mois, Fidel Castro Ruz, 80 ans, ne dirige plus le pays. Maître de Cuba depuis 1959, il avait annoncé, le 31 juillet, une délégation de pouvoirs "provisoire" à son frère Raul. Après qu'il eut disparu de la scène durant plus de quarante jours, le régime, pour faire taire les rumeurs de sa mort, a montré, le 28 octobre, des images du Lider Maximo. Les Cubains ont pu découvrir un homme capable de se mouvoir, mais à l'apparence cadavérique.

Cette forte dégradation de son état de santé amorce sa succession. Depuis son accession au pouvoir (janvier 1959), aucune modification institutionnelle n'avait jamais réduit ses attributions. Mais l'opacité d'un régime de parti unique, qui verrouille l'information et où rien ne filtre des luttes de tendances, autorise toutes les spéculations. Son évolution dépend d'un petit nombre d'acteurs.

Les militaires. Dans ce régime issu d'une guérilla, la légitimité repose en dernière instance sur les faits d'armes. Une poignée de rescapés de la phase de prise armée du pouvoir officient comme gardiens de la flamme. Pendant les années 1960, la participation cubaine aux guérillas en Amérique latine a renouvelé le nombre d'élus. Puis les interventions armées en Afrique, dans les années 1970, ont donné aux militaires une aura d'efficacité. La chute du mur de Berlin (1989) a sonné le glas des "missions internationalistes" musclées. Lorsque, avec la fin des subsides soviétiques, la production de l'île s'est effondrée, des militaires ont été chargés de relancer l'économie.

Tourisme, sucre, transports, pêche, communications et télévision leur ont été confiés. Juge dans le procès Ochoa, le général Julio Casas Regueiro a pris le contrôle des secteurs-clés de l'économie à travers le Groupe d'administration des entreprises (Gaesa). Le général Ulises Rosales del Toro a démantelé la moitié des usines à sucre, produit phare de l'île, tandis que Luis Pérez Rospide, autre général, prenait la direction de Gaviota, le géant du tourisme.

La fusion entre militaires et élite gestionnaire a formé une nouvelle nomenklatura. Son noyau dur gravite autour de Raul Castro, 75 ans, ministre des forces armées révolutionnaires (Minfar) depuis 1959. Cas typique : le général Abelardo Colomé Ibarra, dit "Furry", placé sous les ordres de Raul dans la guérilla avant même la prise du pouvoir. C'est lui qui a pris la tête du ministère de l'intérieur, doté de "troupes spéciales" et des forces de la "sécurité de l'Etat", toute-puissante police politique.

Au Minfar, le chef d'état-major, bras droit de Raul, est le général Alvaro Lopez Miera, ex-officier d'Afrique, aidé des généraux Leopoldo Cintra Frias, Joaquin Quintas Sola et Ramon Espinosa Martin. Le général Carlos Fernandez Gondin a la haute main sur les renseignements.

Si Fidel disparaissait, ces hommes formeraient l'ossature du régime. Tous les observateurs jugent que les militaires tiennent la clé de l'évolution à Cuba. Mais des divergences semblent inévitables entre les généraux qui gèrent l'économie, ceux qui s'accrochent à leur commandement et les jeunes officiers.

Les hommes de l'appareil. De vieux dirigeants du parti, comme José Ramon Machado Ventura et José Ramon Balaguer, comptent aussi parmi les raulistas (partisans de Raul). Ce dernier avait ouvertement épousé les idées de l'ancien Parti communiste cubain avant même la prise du pouvoir.

Mais le PCC, soumis au pouvoir, a été incapable de tenir un congrès depuis neuf ans. La promotion des responsables politiques dépend de Fidel, maître de la distribution discrétionnaire de parcelles de pouvoir soumises à son contrôle tatillon et à son bon vouloir.

Vice-président, Carlos Lage est devenu l'ordonnateur de l'économie de crise, soumise à l'alternance de réformes cosmétiques et de brusques retours de bâton. Président d'un Parlement croupion, Ricardo Alarcon reste l'homme des délicates relations avec Washington. Ministre des relations extérieures, Felipe Pérez Roque est un ex-membre du "groupe de soutien au commandant en chef".

Le Lider Maximo a aussi placé en première ligne de jeunes cadres dévoués, tels les dirigeants des jeunesses communistes Hassan Pérez et Otto Rivero. Ainsi, ce n'est pas un vice-président ni un ministre, mais le jeune Carlos Valenciaga, son secrétaire personnel, qui, le 31 juillet, a lu à la télévision la déclaration de Fidel Castro annonçant la passation de pouvoir.

La place de l'Eglise catholique. Près d'un demi-siècle de pouvoir absolu a éliminé toute société civile à Cuba : syndicats et "organisations de masses" sont des pseudopodes du PCC. Seule institution indépendante, l'Eglise est concurrencée par des groupes protestants plus conciliants envers le régime. A sa tête, le cardinal Jaime Ortega a été jadis détenu en camp de travail avec des homosexuels, des témoins de Jéhovah et autres "asociaux" (cela ne l'a pas empêché de prier pour le rétablissement de Castro). L'archevêque de Santiago, Pedro Meurice, s'est montré plus virulent contre le "totalitarisme".

Décimé par la répression des années 1960, privé d'accès aux médias, le catholicisme a rebondi grâce à l'action sociale. Le laïc Dagoberto Valdés mène une courageuse pédagogie civique et démocratique, dont témoigne sa revue Vitral. L'Eglise prêche la réconciliation entre Cubains. A défaut de jouer un rôle déterminant, elle pourrait devenir la "médiatrice du post-castrisme", selon le chercheur Philippe Létrilliart.

L'opposition interne. Les opposants manquent de visibilité, faute de liberté et de relais. Etroitement surveillés, la plupart restent confinés dans des actions groupusculaires. Quelques initiatives se détachent. Le Projet Varela (pétition pour un référendum sur les réformes), lancé par Oswaldo Paya, a été signé par 25 000 Cubains - une vraie prise de risque dans le contexte local. Après la répression de 2003, les épouses des prisonniers politiques ont formé le mouvement des Dames en blanc. En dépit de l'interdiction, elles défilent en silence à La Havane. En mai 2005, Marta Beatriz Roque a réuni en congrès l'Assemblée pour la promotion de la société civile, qui a rassemblé une centaine d'opposants.

La dissidence recouvre un large spectre, de Mme Roque (droite), seule à soutenir l'embargo américain, aux sociaux-démocrates d'Elizardo Sanchez et Manuel Cuesta Morua, en passant par le centre démocrate-chrétien de M. Paya. "La diversité ne devrait pas être synonyme de division", affirme M. Cuesta Morua.

L'opposition externe. L'exil a frappé, par vagues, 1,4 million de Cubains, l'équivalent de 10 % de la population. L'"exil historique" des années 1960 a été bouleversé par l'exode de 1980, d'origine sociale plus modeste. Dans la diaspora, les différences de générations ont eu raison de l'intransigeance initiale. Après des années de guerre civile larvée entre La Havane et Miami, la majorité des exilés s'est convertie aux méthodes pacifiques.

La FNCA (Fondation nationale cubaine-américaine) mise sur l'embargo et le lobbying à Washington pour pousser au changement. Présente au Congrès avec Ileana Ros-Lehtinen, les frères Lincoln et Mario Diaz-Balart, la communauté cubaine a une étoile montante : le sénateur de Floride Mel Martinez. Emmenée par Ninoska Pérez, son aile dure a quitté la FNCA.

Les modérés (démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates ou la coalition Consenso cubano) ont des relais dans l'île et prônent une transition démocratique négociée. L'exil n'est plus concentré à Miami, mais dispersé aux Etats-Unis, en Europe et en Amérique latine. Grâce au soutien des socialistes européens, la revue Encuentro de la cultura cubana dispose d'un journal en ligne (cubaencuentro.com) qui favorise le pluralisme et le dialogue. Tout un programme, après quarante-sept ans de pensée unique.

Paulo A. Paranagua

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-830138@51-828520,0.html

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