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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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2 novembre 2006

J’ai testé pour vous l’Internet cubain

“J’ai testé pour vous l’Internet cubain”
Récit de voyage d’une journaliste free-lance en reportage sur l’île du 14 août au 13 septembre 2006

Les hauts fonctionnaires en visite pour le XIVe sommet des pays non alignés ont dû se dire que naviguer sur Internet à Cuba était aussi plaisant que de siroter un mojito sur une plage de sable blanc. Peu ou pas de file d’attente, des tarifs divisés par deux ou par trois et plus aucun contrôle d’identité à l’entrée des cybercafés des grands hôtels de La Havane. Pendant toute la semaine du sommet qui a réuni une centaine de délégations du 11 au 16 septembre 2006, les “business centers” des hôtels étoilés avaient comme qui dirait adouci leurs conditions d’ac­cès à la Toile. A l’hôtel Inglaterra, certainement l’un des plus emblématiques de la capitale, les administrateurs du Réseau se sont subitement mis à proposer aux utilisateurs d’effacer leur historique de navigation et les cookies* à la fin de chaque session. Et dire que, quelques jours auparavant, l’hôtesse d’accueil du cybercafé réclamait systématiquement les noms, prénoms et numéros de passeport de tous les utilisa­teurs… Quant au Habana Libre, il avait baissé ses tarifs de 9 à 3 dollars de l’heure. Non vrai­ment, quel dommage que le sommet n’ait pas duré plus longtemps… en tout cas pour les tou­ristes et les journalistes étrangers comme moi, les seuls autorisés à fréquenter ces grands hôtels.
Les Cubains, eux, doivent se contenter des quelques Correos de Cuba, les cybercafés publics. Pendant que les touristes patientent quelques minutes dans des fauteuils molleton­nés, avec une glace fresa et chocolate dans l’hôtel Inglaterra, les autochtones se collent entre une demi- heure et trois quarts d’heure de queue au Correo de Cuba voisin, situé à une trentaine de mètres de là, au pied du Capitole. A l’entrée, l’agent de la sécurité me propose de “m’arranger le problème de la file d’attente”. Ici, beaucoup de choses peuvent s’arranger, moyennant finances. Je refuse et arrive donc trois quart d’heure plus tard devant l'un des sept ou huit ordinateurs que compte ce cyber­ café. On ne me demande pas mon passeport, simplement mon nom (je donne en fait mon pré­nom) et mon pays d’origine. De toute façon, les petits jeunes de l’accueil ne sont pas très regar­dants.

La connexion coûte 4,50 dollars de l’heure… soit près de la moitié du salaire moyen d’un Cubain. Autant dire que les locaux préfèrent opter pour la version “nationale” d’Internet qui revient à 1,50 dollar de l’heure : une simple adresse mail qui permet d’envoyer des courriers électroniques à Cuba et à l’étranger, mais pas de naviguer sur la Toile. Partout, “la connexion es super lenta”, “la connexion est super lente”, comme l’indique ouvertement un panneau affi­ché à l’entrée du Correo de Cuba de la rue Obispo, dans la vieille Havane. En une heure, on a le temps de lire environ trois mails, d’y répon­dre et de consulter trois articles dénichés sur Google news. La plupart du temps (mais pas toujours, c’est finalement assez aléatoire), même si vous tapez www.google.fr, Google news vous renvoie sur les news de Cuba. Un mélange d’articles tirés du Granma, la feuille de chou officielle du Parti communiste cubain et de
l'agence officielle Prensa latina.
Mais il ne faudrait pas noircir le tableau pour autant. Depuis les Correos de Cuba comme depuis les hôtels, vous avez accès à pratique­ment tous les sites d’information, lemonde.fr, bbc.com, le Nuevo Herald (un quotidien de Miami) et même les sites des dissidents du régime castriste. Même chose pour les employés du gouvernement qui disposent d’un ordinateur et d’un accès Internet. “Cela fait des années que je n’ai pas ouvert le Granma, raconte Luis, qui travaille pour le ministère de la Culture. Je m’informe sur google et le site de la BBC, et je n’ai jamais eu aucun problème pour consulter les sites des opposants.” En fait, un seul papier que j’ai voulu lire sur Internet a été bloqué. L’article, intitulé “Et quand Fidel ne sera plus là, que se passera-t-il ?” du journal El Diario Montanes, s’est bien affiché mais un message d’erreur est apparu au bout de quel­ques secondes. J'y ai lu quelque chose comme “Accès restreint… misconfiguration”. Prise de panique, j’ai fermé la page et l’affaire en est res­tée là.

Non, en fait, le plus périlleux, en tant que jour­naliste free-lance dépourvue de visa de presse (ils étaient presque systématiquement refusés au moment du sommet des non-alignés), a fina­lement été l’échange de mails. Premières sueurs froides à Vinales, dans la province occi­dentale de Pinar del Rio. Dans cette petite ville touristique, l’accès à Internet se réduisait à un seul poste (le deuxième était en panne) dans une petite salle derrière une agence de tou­risme. Un responsable de Reporters sans fron­tières m’avait envoyé par mail les coordonnées des principaux dissidents sur l’île, avec des étoiles et d’autres signes de ponctuation inter­calés entre les lettres, histoire d’éviter que les autorités ne reconnaissent ces mots-clés. Mais ces précautions n'ont pas suffi. J’ai à peine eu le temps de lire les adresses et téléphones de trois opposants qu’un message d’erreur sans appel est apparu. “Ce programme fermera dans quelques secondes pour des raisons de sécu­rité d'Etat”. Oups !… Heureusement qu’on ne m’avait pas demandé mon numéro de passe­port à l’entrée. La deuxième fois, je me trouvais dans le très chic hôtel NH Parque central où la connexion coûte la bagatelle de 12 dollars de l’heure. J’étais toute seule dans une salle avec air conditionné en train de taper un article pour le quotidien belge Le Soir, sur Word. J’avais pris l’habitude d’écrire les textes normalement et de ne changer les termes sensibles comme Castro,
révolution ou dissidents qu’au moment de les envoyer par mail. Je les remplaçais alors par des mots anodins (Fanfan, confiture ou parents) et transmettais le décodage par SMS. Mais cette fois-ci, le même message “Ce programme fermera dans quelques secondes, etc.” a fait irruption sur mon écran. J’ai tapé Ctrl A (sélec­tionner tout mon document) et Ctrl C (copier) et la page s’est fermée. J’ai ensuite collé le texte, me le suis envoyé sur ma propre boîte mail et n’ai plus jamais remis les pieds au NH Parque central.
A partir de ce moment, j’ai pris toutes les pré­cautions possibles et imaginables. Je me suis même servie d’une boite mail ouverte par Reporters sans frontières. J’écrivais les articles systématiquement codés, que je laissais dans la boite “brouillons”, sans les envoyer. Quelqu’un en France venait ensuite ouvrir cette boite mail et transmettait les articles à mes rédactions.

On ne connaît pas les stratégies et les métho­des de la police cubaine, ou en tout cas très mal. La surveillance de la Toile me semble en fait assez arbitraire. Le niveau de vigilance dépend des hôtels et des ordinateurs, au petit bonheur la chance. Mais mieux vaut faire très attention. Et employer tous les moyens pour éviter de se retrouver dans une situation péril­leuse, voire d’être expulsée. J’ai eu la chance de prendre mon vol retour à la date prévue, sans passer par les bureaux de la police. Les mailles du filet étaient finalement assez lâches pour laisser passer les petits poissons comme moi.

Claire Voeux

 

* Petits Fichiers qui s'inscrivent automatiquement sur le disque dur d'un ordinateur connecté à Internet lors de la visite de certains sites Web. Ils permettent aux sites de recueillir des informations sur leurs visiteurs et sont souvent considérés comme portant atteinte à la vie privée des internautes.

 

http://www.rsf.org/IMG/pdf/rapport_fr_md.pdf

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