Le pillage des cerveaux

Le dimanche 22 juillet 2007
JEAN-MARC SALVET : Le pillage des cerveaux
Le Soleil
Québec

Fidel Castro a beau cultiver sa légende, lisser son personnage, il n'est plus rien d'autre qu'un dictateur. Dommage que ce soit lui qui ait soulevé, mercredi, cette grave question de l'exode des cerveaux des contrées pauvres vers les pays riches.

Castro est le dernier dictateur de l'Occident. Il est tout aussi responsable du naufrage économique de son île que le cruel embargo américain — sinon plus. Les succès de Cuba en éducation et en santé ne peuvent faire oublier qu'il a verrouillé la démocratie, de La Havane jusqu'à Santiago.

Dommage, donc, que ce soit lui qu'on ait entendu dénoncer l'exode des médecins et des scientifiques d'Afrique et d'Amérique latine vers le Canada, les États-Unis ou l'Union européenne.

Pourquoi dommage ? Parce que les leaders du Nord ont dû accueillir sa dénonciation avec un grain de sel du seul fait qu'elle provenait de lui... Ainsi va la vie.

Or, il s'agit d'un vrai et colossal problème. Un problème fort bien documenté, qui plus est.

La Banque mondiale répète depuis deux ans que 8 Haïtiens et Jamaïcains sur 10 détenant un diplôme universitaire vivent hors de leur pays ; que plus de 50 % des professionnels diplômés d'universités de nombreux États d'Amérique centrale et des Caraïbes œuvrent à l'étranger.

La situation est pire dans certains pays africains. Vendredi, à l'occasion de la parution d'un rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement, un expert a rappelé que la région parisienne compte plus de médecins béninois que le Bénin !

L'économiste de la Banque mondiale, Maurice Schiff, parle de « fuite massive » aux conséquences « graves pour beaucoup de pays en développement ». (Notons au passage qu'il constate que « les plus scolarisés de ces migrants s'installent au Canada et en Australie » — nous savons malheureusement qu'ils ne trouvent pas toujours d'emploi à la hauteur de leurs compétences.)

Alors, la faute aux méchantes politiques d'immigration des pays riches, cet exode, comme le prétend Castro ? Oui, mais pas entièrement. C'est un peu comme la pauvreté du Sud dont on accuse le Nord. Les indécents déséquilibres des échanges commerciaux y sont pour quelque chose, mais ils n'expliquent pas tout. Ce serait trop facile.

Les autorités politiques et économiques du Sud ont aussi leur part de responsabilités dans cette absence de développement à l'origine de la fuite des cerveaux. Pensons aux systèmes de gouvernance déficients ou à l'insécurité régnant à trop d'endroits.

Le plus terrible est que le départ des élites creuse les difficultés, ce qui favorise d'autres départs... Un cercle vicieux que ne parvient pas à briser l'argent que ces migrants envoient dans leur pays d'origine — même si ces sous contribuent à faire reculer la pauvreté.

Des solutions ? Non, seulement des pistes.

En fait, c'est quand on aborde cet aspect des choses que le problème se révèle dans toute son ampleur. Et qu'il peut paraître quasi insoluble...

En l'énonçant de façon générale, on pourrait imaginer qu'il faut mettre en place des programmes de compensations financières et techniques. Maurice Schiff pense ainsi que le « service national de santé » d'un État riche pourrait par exemple négocier avec les pays d'où proviennent ces élites migrantes pour financer des écoles, des universités ou des équipements de pointe. Des projets où pourraient retourner travailler certains de ces « cerveaux » s'ils en avaient envie, que ce soit sur une base permanente ou temporaire.

Que voilà un bien ambitieux programme vu de nos pays ! Mais quelqu'un a-t-il mieux à suggérer ? Laisserons-nous ce terrain aux populistes Fidel Castro et à son fils spirituel, le Vénézuélien Hugo Chavez ? Ce serait irresponsable.

http://www.cyberpresse.ca/article/20070722/CPSOLEIL/70721084/5019/CPSOLEIL