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4 avril 2007

Les craintes et les espoirs des «déserteurs» cubains

Les craintes et les espoirs des «déserteurs» cubains
Envoyés en mission à l'étranger, médecins ou sportifs choisissent la liberté.
Par Michel TAILLE
QUOTIDIEN : mardi 3 avril 2007

Bogotá de notre correspondant
Gustavo entrouvre sa porte le regard soupçonneux. Ce médecin cubain, arrivé clandestinement en Colombie il y a cinq mois, craint les mouchards. Jusqu'à l'an dernier, il faisait partie des professionnels envoyés par La Havane pour participer à des programmes sociaux au Venezuela en vertu des accords entre Fidel Castro et Hugo Chávez. Comme 13 000 de ses compatriotes, il apportait des soins gratuits aux habitants des quartiers pauvres, jusqu'à ce qu'il fasse sa valise, «un jour férié, à 4 heures du matin».
Cohorte. Après une odyssée en bus et un pieux mensonge à la frontière, il a rejoint la cohorte des diplômés cubains devenus déserteurs à l'occasion d'une mission à l'étranger : plusieurs dizaines en Colombie, peut-être des centaines sur le continent. La Havane envoie ces médecins par milliers travailler dans les zones déshéritées des pays «frères» comme le Venezuela ou la Bolivie. Suivant les années, jusqu'au quart des effectifs médicaux de l'île travaillerait ainsi à l'étranger. Au Venezuela, ce sont aussi des milliers d'entraîneurs sportifs cubains qui participent aux «missions» sociales du président Chávez.
Ceux qui comme Gustavo ont décidé de sauter le pas ont dû échapper à la surveillance du régime castriste. A Cuba, avant le départ, tous font l'objet d'une sélection rigoureuse, rappelle Mauricio, un sportif qui a pris également la fuite vers la Colombie : la discipline du travailleur, ses commentaires et ses éventuels antécédents judiciaires sont étudiés. Lui-même condamnait le «manque de liberté d'expression, et de possibilités d'avenir» : «Je suis jeune, diplômé, et je n'aurais jamais pu aspirer à un poste plus élevé parce que je n'étais pas militant» du Parti communiste.
Mais il est passé entre les mailles du filet : «Je voyais bien que j'étais surveillé, raconte-t-il, mais je faisais comme si de rien n'était. Et je ne faisais aucun commentaire politique.» A cette étape, Gustavo, lui, s'informe déjà des possibilités d'exil par de discrets contacts avec d'anciens compagnons d'études déjà installés à Miami. «Il n'est pas formellement interdit d'avoir des relations avec eux, commente-t-il... Même s'il vaut mieux que ça ne se sache pas.»
A l'arrivée au Venezuela, l'étau ne se desserre pas. «Les Cubains» sont astreints à une vie plus que discrète. A Barinas, dans l'intérieur du pays, ils vivent entre eux dans des maisonnettes en contrebas du centre de santé. «Je ne peux pas vous parler sans autorisation de la hiérarchie», répondent-ils invariablement à la presse vénézuélienne. «Il m'était interdit de dépasser une relation purement professionnelle avec les Vénézuéliens», raconte Mauricio, qui évitait toute confidence avec ses compatriotes. Un de ses collègues, se rappelle-t-il, a été rapatrié en urgence à Cuba après s'être absenté une semaine sans autorisation. «Il a sûrement perdu sa situation ; il doit travailler dans les champs, maintenant.»
Les «déserteurs» perdent les gains accumulés sur leurs comptes cubains : 50 dollars mensuels les premiers mois, qui doublent par la suite. Une maigre épargne, ajoutée aux 200 dollars consacrés aux dépenses sur place ; bien plus que ce à quoi ils peuvent prétendre sur l'île. Même si les patients vénézuéliens se sont montrés «très reconnaissants», le Dr Gustavo s'est senti «sous-utilisé» dans les «missions» ; l'entraîneur Mauricio, lui, regrettait de devoir dicter des formations «plus idéologiques que professionnelles».
Permission. Gustavo s'est décidé à fuir le Venezuela quand il a appris qu'une nouvelle réglementation nord-américaine permettait aux médecins cubains faisant défection d'obtenir un visa américain : un dernier coup de fil, une demande de permission d'une journée, et il a passé la frontière vers la Colombie. «Je savais qu'il n'y avait pas de retour possible», dit-il en estimant entre huit et quinze ans de détention la peine des déserteurs. Une fois à Bogotá, il s'est installé dans une chambre avec trois compatriotes en fuite. Tous vivent «au jour le jour» en attendant d'obtenir des papiers.
Dossier. Gustavo, comme beaucoup d'entre eux, est allé déposer son dossier à l'ambassade américaine de Bogotá dès son arrivée. Aujourd'hui, ses colocataires ont pu prendre l'avion, et lui tente de ne pas perdre espoir. Son compatriote Mauricio s'est déjà vu refuser le visa américain. Il est pourtant venu en Colombie «parce que c'était un pays de droite» où il se sentait en sécurité. L'extradition par le gouvernement bolivien d'un Cubain réfugié depuis 2000, en janvier, l'a fait se méfier du gouvernement socialiste d'Evo Morales.
Mais la Colombie conservatrice n'est pas non plus un eldorado : les demandeurs d'asile cubains ont essuyé un refus des autorités dans trois cas sur quatre depuis 2002, et ils sont actuellement 56 à attendre une décision. «Dans quelques jours, je serai clandestin», calcule Mauricio.

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