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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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1 mars 2007

Le petit frère du peuple

Cuba
Le petit frère du peuple

Eternel second de Fidel, Raúl Castro est à la tête de l'île depuis sept mois. Attendu sur la question des réformes, le chef de l'Etat par intérim pourrait dessiner un modèle à la chinoise, entre ouverture économique et maintien de la tutelle totalitaire.
Par Eric LANDAL
QUOTIDIEN : jeudi 1 mars 2007
La Havane envoyé spécial

Depuis sept mois, il est le patron, sans l'être. Un dictateur par intérim. Les Cubains ne le connaissent pas, ou si peu. Ne l'aiment guère. «Raúl Castro est un militaire, un dur. Dans mon quartier, j'ai remarqué de plus en plus de caméras, depuis le 31 juillet, branchées en haut des immeubles pour surveiller les rues», dit J. Ce garagiste trentenaire reste un «fidéliste» fervent : «Parce que mon père était colonel, qu'il a fait la révolution et que j'ai baigné là-dedans durant toute mon enfance.» Quant à virer raúliste, non, «ça, jamais»...

Raúl Castro, 75 ans, est aux commandes de Cuba depuis l'annonce, le 31 juillet, de la maladie de son frère, Fidel, 80 ans, maladie décrétée «secret d'Etat». A l'opposé du «Líder máximo», Raúl, aussi étriqué que son aîné en impose, aime l'ombre et hait les grands discours. Il «ne bénéficie d'aucun capital de sympathie. On le juge obtus, intolérant et inflexible, écrit l'un des récents biographes de Fidel Castro (1). Le peuple l'affuble du surnom "El Casquito" ,"le Petit Casque". Ce jugement est certainement hâtif. Sous son allure peu flatteuse et ses interventions souvent maladroites, cet homme cache un grand talent d'organisateur et une discipline de fer». «El Burro» ­ «l'Ane», un autre de ses surnoms ­ serait le «poing» de la révolution quand Fidel Castro en est «le coeur», ce qui n'est guère rassurant sur la possibilité d'une évolution démocratique dans l'île.
Une des premières mesures de Raúl Castro comme chef de l'Etat intérimaire a été la nomination au ministère clé de l'Informatique et des Communications de Ramiro Valdés, un ex de la vieille garde, qui fut l'un des comandantes de la sierra Maestra... C'est avec Valdés que Raúl a fondé la police politique, dès la victoire de la révolution en 1959. Tenant d'une main de fer l'armée et les appareils de sécurité, le petit frère a été de tous les épisodes de la saga castriste. Mais toujours deux pas en retrait. Dans l'attaque de la caserne de la Moncada, le 26 juillet 1953. Dans la prison qui a suivi ce coup d'éclat contre le régime du dictateur Fulgencio Batista. Dans l'exil au Mexique. Dans l'aventure du retour à Cuba avec quelques combattants barbudos sur le bateau Granma. Dans la guérilla de vingt-cinq mois dans la sierra Maestra...

A 22 ans, Raúl découvre le communisme

Les médias d'Etat et du Parti communiste, les seuls autorisés, radios, télés et presse écrite confondues, continuent à présenter «le général» Raúl Castro comme «ministre de la Défense» ou «deuxième secrétaire» du Parti (le premier, c'est Fidel), ou «premier vice-président du Conseil d'Etat» (le président, c'est Fidel). Bref, l'éternel second. Derrière le seul et unique Comandante en Jefe de la Revolución. Car l'image de Fidel continue de peser de tout son poids sur Cuba. Et ce, même si, en privé, beaucoup de Cubains ont remplacé Comandante par coma andante, le «coma qui marche».

Sur les vitres de certains bâtiments officiels sont aujourd'hui tagués des «Viva Fidel ! Viva Raúl !», les prénoms des deux frères accolés, mais dans un ordre immuable. Longtemps caché dans l'ombre du «Père de la révolution», Raúl ne craint pourtant plus de s'en démarquer, légèrement : «Fidel est irremplaçable ; je le sais, moi qui le connais depuis que j'ai l'usage de la raison... Pas toujours avec les meilleures relations, parce que je suis comme je suis.» Eduqué comme Fidel dans les meilleures écoles jésuites du pays, Raúl s'est distingué par sa précoce conversion au communisme, à 22 ans, suite à un voyage en 1953 derrière le rideau de fer. C'est lui qui, avec Ernesto «Che» Guevara, fera découvrir le marxisme-léninisme à Fidel. Et servira rapidement d'agent de liaison avec Moscou pour précipiter La Havane dans le camp soviétique. Plus doctrinaire que Fidel, Raúl a aussi davantage les pieds sur terre que son visionnaire de frère. Après l'écroulement de l'Union soviétique et la disparition de son soutien financier à Cuba, le numéro 2 du régime a été l'un des promoteurs des réformes économiques destinées à sauver le pays de la banqueroute. Avec notamment l'introduction d'une petite bouffée de secteur privé. Jusqu'à ce que Fidel ordonne une marche arrière, à partir de 2002.

Plus pragmatique que Fidel

Sous sa direction, l'armée cubaine ­ les FAR, Forces armées révolutionnaires ­ est devenue un groupe économique à part entière doté de ses propres entreprises dans l'industrie, l'agriculture, le tourisme... «Et ce sont les compagnies du pays qui marchent le mieux, les plus efficaces, notamment parce qu'elles ont gagné peu à peu une certaine autonomie qui leur permet par exemple d'avoir le droit de réinvestir une partie de leurs bénéfices, tandis que les entreprises classiques doivent tout reverser immédiatement à l'Etat», explique un chef d'entreprise français en relation d'affaires avec Gaviota, le groupe «militaire» du tourisme, devenu un véritable petit empire depuis l'ouverture touristique, il y a une vingtaine d'années. Dans les entreprises des FAR comme Gaviota, les salaires sont un peu plus élevés que la moyenne, même si la différence n'est que d'une poignée de dollars. Raúl Castro a-t-il la volonté ­ et les moyens ­ de «gaviotiser» l'économie de l'île dans une évolution «à la chinoise», en ouvrant les marchés sans relâcher la tutelle totalitaire ?

«Raúl est moins intello, moins politique que son frère, juge un diplomate européen en poste à La Havane. Il est plus proche des réalités et semble vouloir améliorer un tant soit peu l'efficacité du système économique.» Il a promis de lutter contre la corruption et contre l'absentéisme dans les administrations. L'un de ses proches a même évoqué la possibilité de «nouvelles bases» économiques. «Notre devoir est d'ouvrir la voie aux nouvelles générations, à de nouveaux dirigeants», a lancé Raúl Castro la semaine dernière, à l'occasion du congrès de la Jeunesse communiste. Sa direction se veut aussi collégiale, contrairement à l'extrême personnalisation du pouvoir de Fidel. Devant la Fédération des étudiants, une des principales organisations de masse de la dictature, il a encouragé l'expression des «divergences» : «Certains ont peur du mot divergence. Moi, je suis de ceux qui disent que plus on discute et plus on diverge, meilleures sont les décisions qui en sortent.»

«Les gens vont au travail pour voler»

Raúl Castro sera-t-il l'homme d'un début de transition ? D'une ouverture économique ? Un demi-siècle de révolution a dévasté l'économie cubaine. Face à la pénurie, le quotidien repose sur le marché noir, la débrouille et le détournement de la production des entreprises. «Les gens vont au travail pour voler», explique M. Ce jeune diplômé d'un institut s'est précipité sur un boulot de chauffeur de taxi quand il a eu le piston suffisant et les moyens de payer le dessous-de-table nécessaire pour entrer dans l'entreprise. Grâce aux pourboires, être taxi lui ouvre l'accès aux devises du tourisme, première ressource du pays. Sinon, l'Etat lui verse un salaire équivalent à 12 euros par mois. Un peu moins que le salaire moyen sur l'île, égal à 15 euros. «Malgré ces revenus de misère, le peuple cubain souhaite avant tout survivre. Peu lui importe qui est au pouvoir, il veut une amélioration des conditions de vie et la possibilité d'avoir un travail privé», explique Vladimiro Roca, fondateur du Parti social-démocrate, une des figures de la dissidence, emprisonné cinq ans entre 1997 et 2002.

Bien avant les libertés civiques et politiques, inexistantes ­ droit de réunion, d'association, liberté d'expression, élections libres... ­, les Cubains réclament un appel d'air économique. J., le mécanicien, a obtenu le très rare privilège de pouvoir s'établir à son compte. Il ne dépend donc plus de l'Etat, sauf qu'il n'a le droit d'embaucher personne : «En fait, j'ai un employé au noir, et quand l'inspecteur se pointe, je lui file quelques billets pour qu'il ferme les yeux.» Dans sa partie, il souhaiterait, surtout, «une ouverture économique : pouvoir acquérir du matériel fiable, des outils, des pièces de rechange, pouvoir embaucher... Même si je ne veux pas du capitalisme sauvage». Il en a marre «de toute cette bureaucratie, de tous ces mecs dans les ministères qui ne font rien, ces parasites qui paralysent le pays». S'il est inquiet de l'arrivée au pouvoir de Raúl Castro, c'est qu'il n'a pas encore constaté l'ombre d'un changement. Toutes les supputations du moment ont beau courir sur les chances de Raúl d'être à Cuba ce que fut à la Chine Deng Xiaoping, passé à la postérité pour ses «zones économiques spéciales», ces sept derniers mois n'ont vu ni ébauche de glasnost ni soupçon de perestroïka.

«La ligne officielle ne va pas changer du jour au lendemain, surtout tant que Fidel vivra ­ et même après sa mort, d'ailleurs. S'il y a des changements, ils ne seront sûrement pas précipités», estime le même diplomate étranger. Muselée, réprimée, la dissidence reste de facto assignée à résidence. Privée de contacts avec les Cubains, elle se borne à quelques tracts photocopiés dans les ambassades et distribués sous le manteau, des sites Internet bidouillés et uniquement destinés au monde extérieur. Prix Sakharov des droits de l'homme en 2002, le chrétien-démocrate Oswaldo Payá, l'un des dissidents les plus connus, reconnaît «possible que certains, même à un haut niveau du gouvernement, songent à un modèle chinois, une ouverture économique sans changements politiques». Mais, s'offusque-t-il, «nous voulons tous les droits, pas seulement un peu plus de liberté économique. Sinon, nous serions quoi ? Des demi-humains avec des demi-droits ?».

En attendant, de peur de se cramer, personne ne bouge dans les hautes sphères de la nomenklatura, même ceux qui pourraient être favorables à ces hypothétiques réformes. «Un dirigeant qui fut proche du gouvernement me disait récemment qu'il n'avait aucun espoir d'évolution avant au minimum une dizaine d'années, raconte Vladimiro Roca. L'expérience historique, par exemple dans les pays de l'Est et l'Union soviétique, montre que les changements viennent toujours d'en haut. Or, pour l'instant, nous n'avons rien vu venir de concret de la part de Raúl Castro.» Le poids de Fidel est toujours là. Et «petit frère» reste une énigme.
(1) Fidel Castro,«El Comandante», Volker Skierka, éditions Alvik, 2004.

http://www.liberation.fr/transversales/grandsangles/237989.FR.php

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