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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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17 janvier 2007

Cuba : fin de régime ?par Piotr Romanov Deux

Cuba : fin de régime ?
par Piotr Romanov

Deux semaines passées à La Havane ont confirmé l'évidence: après le départ de Fidel, de profonds changements attendent "l'Ile de la liberté". Une évidence que d'ailleurs les Cubains sont les premiers à admettre. Le slogan officiel selon lequel la société cubaine est monolithique est évidemment un mythe entretenu par la propagande. Ces mutations, les insulaires ne les attendent pas tous de la même façon. Les uns avec espoir en se souciant déjà de la meilleure façon de s'adapter aux réalités nouvelles.

D'autres se préparent à faire front à ce qui s'annonce pour défendre les positions occupées jusqu'ici. D'autres encore s'emploient à faire montre de souplesse, cherchant une voie qui permettrait de conserver les acquis de l'époque de Fidel (et il y en a, quoique puissent prétendre ses ennemis) tout en plaçant le pays sur les rails d'une démocratie authentique et d'une économie efficace à vocation sociale.

Seuls quelques interlocuteurs cubains, rendant hommage au prestige de Fidel, ont déclaré avec conviction que pour Cuba même la perte d'un dirigeant de la stature de Castro ne se traduirait pas par un tournant dans le destin du pays. "Nous étudions attentivement l'expérience du Vietnam, un pays où après la disparition de Ho Chi Minh le parti a réussi à conserver la totalité de ses positions", a fait remarquer l'un d'eux.

Nous ne sommes pas certains que ce parallèle soit pertinent. Les mentalités vietnamienne et cubaine sont par trop différentes, les situations géopolitiques de Cuba et du Vietnam sont loin d'être les mêmes, mais puisque ce point de vue est défendu par une partie de l'élite politique cubaine, nous ne l'écarterons pas.

Avant de se lancer dans des prévisions politiques, il faut probablement faire le point sur ce que Fidel a réussi à donner aux Cubains et sur ce qu'il ne leur a pas apporté.

Rappelons que la victoire des barbudos s'était traduite en 1959 par le triomphe de l'un des trois grands courants politiques radicaux cubains, à savoir celui de "l'apôtre" Jose Marti, penseur et poète cubain, anti-impérialiste farouche et champion de la souveraineté cubaine. Les deux autres courants - les centristes modérés dont la seule ambition était de quémander aux Etats-Unis un peu plus d'indépendance pour l'île, et les annexionnistes, qui prônaient le rattachement de Cuba à la "grande démocratie américaine - avaient été battus à l'époque, mais à l'état rudimentaire ils ont survécu jusqu'ici.

Après la disparition de Fidel il se pourrait que ces deux courants se requinquent. Selon certaines informations, d'ores et déjà quelque 500 organisations d'opposition fonctionnent clandestinement à Cuba. Pour l'instant elles sont groupusculaires, disparates et n'exercent aucune influence tant soit peu notable sur ce qui se passe dans le pays. Ce qu'admettent d'ailleurs les représentants de l'opposition que nous avons rencontrés pendant notre voyage. Mais cela concerne le présent. Par la suite, il ne faudrait certainement pas mésestimer le facteur de l'opposition intérieure cubaine.

L'indépendance de Cuba figure parmi les grands acquis de Castro. Cet objectif qui avait été fixé à la société cubaine par Jose Marti, le mentor idéologique de Fidel. Dans les conditions extrêmement difficiles de la confrontation permanente avec les Etats-Unis, Cuba est incontestablement parvenu à une authentique indépendance. Soulignons aussi que la souveraineté cubaine est passée par l'épreuve de l'hostilité du voisin du nord et aussi par celle de l'amitié soviétique. Le masque socialiste arboré par Cuba en signe de reconnaissance pour l'aide accordée par l'URSS et les idées marxistes-léninistes que cela sous-entendait n'ont jamais eu un impact profond sur Fidel et ses plus proches compagnons. La politique de Cuba est toujours restée autonome même vis-à-vis de Moscou.

Le fait qu'il ne s'agissait que d'un masque est particulièrement évident aujourd'hui. Même dans le quotidien Granma, l'organe officiel du Parti communiste cubain, le terme "socialisme" ne se rencontre plus que rarement, quant aux citations des pères du marxisme-léninisme, elles ont quasiment disparu. Durant notre séjour de deux semaines à La Havane nous n'avons rencontré aucun portrait de Lénine et de Marx. C'est vrai que nous ne nous étions pas fixé l'objectif d'en découvrir. Par contre, nous avons vu de nombreux monuments à Jose Marti. Même la statue érigée en 1956, avant la révolution donc, par la Grande loge maçonnique de Cuba à la mémoire de la mère de "l'apôtre" s'est remarquablement conservée.

Ce qui vient d'être dit de l'influence soviétique d'alors peut l'être concernant la présence actuelle à Cuba de la Chine vers laquelle les dirigeants cubains avaient tourné leurs regards après l'éclatement de l'URSS. Ici aussi, si la Chine est là, elle l'est peut-être sur le plan économique, mais pas du tout idéologique. La courtoisie soulignée des Cubains à l'égard de Pékin n'est aucunement synonyme de proximité idéologique.

En d'autres termes, Jose Marti à Cuba a triomphé successivement de Marx, de Lénine, de Mao et de Den Xiaoping. Nous sommes sûrs que dans l'avenir il fera de même avec Fidel Castro du moment que la révolution de 1959 n'a pas été à même de réaliser le deuxième objectif fixé par "l'apôtre", à savoir l'instauration d'une démocratie authentique à Cuba.

Dans cette voie les disciples de Fidel ont de bonnes raisons de s'enorgueillir et aussi de se désespérer. Si les réalisations de Cuba en matière d'éducation et de médecine sont incontestables, les échecs dans l'édification d'une société libre et démocratique avec une économie efficace, à même d'assurer un niveau de vie décent aux Cubains, le sont tout autant. Le soutien social accordé par l'Etat au Cubain moyen n'a pas permis de le sortir de la pauvreté.

Lorsque l'on évoque les difficultés économiques, les Cubains font état de l'embargo économique américain pour se justifier. Dans une certaine mesure ils ont évidemment raison. Survivre dans ces conditions est extrêmement difficile, sans déjà parler du caractère amoral et irrationnel du blocus. Ce qui semble évident à tous sauf à Washington. Le dernier vote à l'ONU sur une résolution réclamant la levée de l'embargo a confirmé l'isolement total des Etats-Unis sur cette question. 184 pays se sont prononcés pour la levée, quatre seulement ont voté contre: les Etats-Unis, Israël, qui était dans l'impossibilité de voter autrement, les Seychelles et Palau, deux Etats insulaires "influents" s'il en est.

Toutefois, ce qui vient d'être dit ne supprime pas la nécessité de soumettre l'économie cubaine à de profondes réformes. Que l'Etat le veuille ou non, pour assainir l'économie il n'a pas d'autre moyen que de se serrer un peu et de laisser libre cours à l'initiative privée.

On a l'impression que certains dirigeants cubains en sont déjà conscients, ce qui se répercute de manière assez originale sur l'économie cubaine où aujourd'hui cohabitent des choses qui, à première vue, sont incompatibles. L'économie cubaine actuelle, c'est la modernité imbriquée de façon inimaginable dans l'archaïsme. Jugez vous-mêmes.

D'un côté, par exemple, il y a la détermination du cours du peso par l'Etat qui se fonde pour ce faire sur une approche volontariste et extra-économique. Force est de rappeler aussi l'apparition récente du "peso convertible" avec lequel tout étranger arrivant aujourd'hui à Cuba doit régler ses achats. (A titre informatif, signalons qu'une taxe de 20% est prélevée lors du change des dollars en pesos convertibles). Pour ceux qui ont vécu sous le socialisme l'idée est parfaitement compréhensible: face à l'embargo américain les Cubains répondent en se livrant à un racket révolutionnaire ouvert.

Mais ce n'est là que le côté face de la médaille. Le côté pile, lui, il est coulé dans un métal tout différent. D'ores et déjà l'économie cubaine est certainement plus proche du marché que ne l'était l'économie soviétique avant l'effondrement de l'URSS. Beaucoup de corporations et d'entreprises sont déjà actionnarisées, notamment avec participation de capitaux étrangers. Un exemple: la brasserie Bucanera détient le monopole de la fabrication de la bière à Cuba. 50% des actions sont propriété publique, l'autre moitié est constituée par des capitaux étrangers mixtes. L'entreprise est dirigée par un Belge (directeur général), un Brésilien (directeur financier), un Italien (directeur commercial), un Tchèque (directeur de production) et un Allemand (contremaître de fabrication). Cela aussi c'est Cuba aujourd'hui.

On ne compte plus ces contrastes de nos jours sur "l'Ile de la liberté". La vieille Havane décrépie, s'effritant sous les bourrasques, et non loin de là le quartier résidentiel de Miramar avec des hôtels cinq étoiles placés sous management étranger. On y trouve également un Centre d'affaires ultramoderne.

Par conséquent, au déclin de l'époque de Fidel Cuba s'est beaucoup éloigné des principes de l'économie socialiste (en tout cas dans leur version soviétisée". Pour ce qui est du domaine idéologique, il fait marche arrière (ou marche avant) vers les idées de Jose Marti et les idées bolivariennes de la lutte pour l'indépendance, traditionnelles pour l'Amérique latine.

Il est difficile de dire avec quel esprit de suite et sous l'effet de quelles circonstances, mais Cuba actuel avance manifestement vers les pays de la région qui misent moins sur le socialisme que sur une économie à vocation sociale mais de nature capitaliste. C'est cette voie qu'ont choisie le Brésil, le Venezuela (en dépit de la rhétorique radicale extravagante de Hugo Chavez), la Bolivie et maintenant le Nicaragua après la victoire qu'y a remportée Daniel Ortega.

Mise en ligne 17 janvier 2007
http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=404&L=fr

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