Oswaldo Paya : «On doit éviter un bain de sang à Cuba !»
Oswaldo Paya : «On doit éviter un bain de sang à Cuba !»
PROPOS
RECUEILLIS PAR ANTOINE DE TOURNEMIRE.
Publié le 08 décembre
2006
Actualisé le 09 décembre 2006 : 17h36
Le dissident épargné par le
régime castriste se bat pour sauver les Cubains par la voie pacifique.
Le
dissident Oswaldo Paya dirige à Cuba le Mouvement chrétien de libération. S'il
fut épargné par la répression de mars 2003 contre 75 journalistes, écrivains,
défenseurs des droits de l'homme et opposants, condamnés à des peines de 6 à 28
ans de prison, il ne doit cette clémence qu'à son aura internationale. Le 23
octobre 2002, le Parlement européen lui décernait le prix Sakharov des droits de
l'homme et de la liberté de pensée pour sa lutte pacifique en faveur d'une
transition vers la démocratie à Cuba. Le projet Varela - du nom du prêtre qui
s'illustra au XIXe siècle dans la lutte pour l'indépendance de Cuba - est
original puisqu'il est non violent et s'appuie sur la Constitution, qui admet en
principe le référendum d'initiative populaire lorsqu'il est proposé par plus de
10 000 citoyens. Hélas ! Les 11 020 signatures déposées au Parlement en mai 2002
par Oswaldo Paya n'ont eu alors pour résultat que le durcissement du
régime.
Le Figaro Magazine - Comment éviter le chaos qui accompagnerait
la chute du régime castriste ?
Oswaldo Paya - Cuba risque un bain de
sang. Surtout quand le régime proclame que, même après la mort de Fidel, il n'y
aura pas de changement. C'est une rivière qui va déborder tôt ou tard. Mais je
ne peux pas arriver avec des chars. Nous devons sauver Cuba par la voie
pacifique comme le voulut Martin Luther King.
Quelles seraient les
mesures à prendre d'urgence pour une transition ?
Notre programme Todos
Cubanos prône la libération de tous les prisonniers politiques. On devra ensuite
assurer la continuité des services de distribution d'eau et de nourriture. Nous
maintiendrons la santé, l'éducation et de nombreux services publics gratuits.
Les millions de Cubains qui vivent dans des maisons réquisitionnées ne seront
pas délogés.
Les Cubains doivent pouvoir entreprendre. Mais la
privatisation sera progressive, car le but n'est pas d'enrichir 300 personnes !
Personne ne doit devenir plus pauvre qu'il ne l'est déjà. Et à tous les
Français, je dis : appuyez cette alternative pacifique comme vous l'avez appuyée
en Afrique du Sud ou au Chili...
Quelle est votre vision du régime de
Raul Castro, axé, semble-t-il, sur un «communisme à la chinoise» ?
Si ce
régime chinois vous semble si bien, pourquoi la France ne l'adopte-t-elle pas ?
Pensez-vous que nous sommes inférieurs ou que nous ne mériterions que ce
néocommunisme ?
Votre prix Sakharov a récompensé votre engagement dans
le projet Varela. En quoi consiste-t-il ?
Le projet Varela demandait la
consultation d'un référendum comme le prévoit la Constitution cubaine sous
réserve d'obtenir au moins 10 000 électeurs. Le but était que les Cubains se
prononcent sur la liberté d'expression, la liberté d'association, la libération
des prisonniers politiques pacifiques et la libre entreprise. Songez qu'un
Français peut avoir un commerce à Cuba mais pas un Cubain ! Le 10 mai 2002, nous
avons pu présenter 11 020 signatures.
Comment le pouvoir a-t-il réagi
?
Le pouvoir a lancé une gigantesque collecte de signatures (8 188 198
signatures, soit celles de... 99,37% des Cubains en âge de voter, ndlr), en
faisant pression sur un grand nombre de personnes afin d'obtenir que
l'irrévocabilité du communisme se fonde dans la Constitution.
Le projet
Varela a malgré tout continué à grandir. En mars 2003, ils ont mis en prison la
majorité de ses membres. Mais plus tard, en octobre, nous avons remis 14 384
signatures de plus. Soit, au total, plus de 25 000. La police a rendu visite à
chaque signataire pour le menacer, le faire chanter, lui dire qu'il allait
perdre son travail, lui envoyer des menaces indirectes ou très directes, le
mettre en fiche, etc.
Comment le pouvoir entretient-il ce climat de peur
?
Par exemple, chaque jour, en arrivant à l'école, les enfants, la main
sur le front, font un salut militaire soviétique et crient «Pionniers du
communisme nous serons, comme le Che.» Ces doctrines, que ne croient ni les
maîtres, ni les parents des enfants, ni même les enfants, tout le monde les
accepte car il y a beaucoup de mécanismes de contrainte. A l'université, dans
les centres de travail, le Parti de la jeunesse communiste sollicite en
permanence l'appui au régime. Sinon la personne est «marquée» et elle est
traitée de «gusano» (ver de terre). Elle peut être exclue, discriminée,
emprisonnée, frappée, selon les moments et les circonstances.
Vous
n'avez pas été mis en prison durant le printemps 2003 ?
J'ai toujours
mon travail. Mais la Sécurité de l'Etat contrôle tous mes mouvements. Si vous
veniez chez moi, vous pourriez voir comment, dernièrement, on a mis des
banderoles qui disaient : «Dans une classe en état de siège, la dissidence est
une trahison», «Le socialisme ou la mort...». Cela dans le cadre d'une kermesse
où l'on nous prend en photo et l'on se moque de nous. Lors de cet acto de
repudio (acte de répudiation), plusieurs dizaines de personnes se relaient des
heures ou des jours devant la maison. Tout le monde sait que nous sommes
menacés, jugés, dans un esprit propre aux pogroms des fascistes...
Bon,
quand vous me demandez pourquoi je ne suis pas en prison, je vous réponds :
demandez-moi aussi pourquoi je suis vivant ! Je suis simplement dans les mains
de Dieu.
http://www.lefigaro.fr/magazine/20061208.MAG000000284_on_doit_eviter_un_bain_de_sang_cuba_.html