Sommet des non-alignés : un Castro peut en cacher un autre
La présence du Líder Máximo au dîner de gala, vendredi soir, reste
incertaine.
Sommet des non-alignés : un Castro peut en cacher un autre
Par Jean-Hébert ARMENGAUD et Claire VOEUX (à La Havane).
QUOTIDIEN :
Mercredi 13 septembre 2006 - 06:00
Il y sera, mais sans y être. Il fera
une apparition, mais sans apparaître. Il a cédé «temporairement» le pouvoir
à son frère, mais reste le Líder Máximo, le chef suprême... La situation reste
des plus confuses à Cuba, un des pays les plus opaques du monde en matière
d'information, plus d'un mois après l'annonce de l'hospitalisation de Fidel
Castro, le 31 juillet, des suites d'une «hémorragie intestinale», quelques jours
avant qu'il fête ses 80 ans.
Tribune mondiale. Depuis des mois, Castro
préparait le XIVe Sommet de l'organisation des pays non alignés, qui se déroule
cette semaine à La Havane, pour tenter de redonner une tribune mondiale à la
dictature. Désormais alité, il va rater «son» sommet. Il pourrait cependant
recevoir certains des chefs d'Etat et de gouvernement attendus d'ici à samedi
dans la capitale cubaine. Comme tétanisés par l'absence du Líder, les autorités
cubaines n'osent rien affirmer ni infirmer. La présence de Fidel Castro a
d'abord été annoncée au dîner de gala prévu vendredi soir, avant d'être mise
entre parenthèses. Lundi, pour l'inauguration du sommet, le ministre cubain des
Affaires étrangères, Felipe Pérez Roque un des hommes forts de La Havane et
champion de la langue de bois , annonçait que Fidel Castro restait «le chef de
la délégation cubaine» au sommet, même si «on ne peut pas encore assurer qu'il
assistera physiquement aux travaux». Raúl Castro (75 ans), le «petit» frère de
Fidel, qui lui a transmis pour la première fois depuis la révolution de 1959
ses pouvoirs après son opération, sera «le second chef de la délégation».
Moyennant quoi, «si le chef de la délégation ne peut assister à certaines
activités, le second chef de la délégation le remplacera».
«Totale
harmonie». Felipe Pérez Roque a ajouté que l'état de santé de Fidel Castro
s'améliorait, que «le pire [était] passé» et que le malade était «toujours
actif, participant aux décisions principales, tout en étant en communication
constante avec tous les secteurs politiques du gouvernement». Quant au petit
frère Raúl, qui n'apparaît jamais ou presque en public, «sa pensée est en totale
harmonie avec celle de Fidel Castro et de la révolution». Ouf...
Dans les
rues de La Havane, chacun spécule à partir de ces maigres éléments
d'information. «Il est tellement courageux que je suis sûre qu'il apparaîtra
d'ici à la fin de la semaine, même si c'est en chaise roulante», espère Dulce,
une vieille admiratrice qui vit de sa chambre d'hôtes à domicile. «Jusqu'au bout
et même à moitié mort, il continuera à vouloir être aux manettes, ajoute Pedro,
qui tient l'un des rares restaurants privés autorisés dans un des quartiers
chics de la capitale. On croyait en avoir fini le 31 juillet. Mais il semble
qu'il nous faudra patienter encore un peu. Personnellement, j'aurais tendance à
préférer Raúl. Il me semble plus pragmatique et plus ouvert à un modèle chinois
qui permettrait plus de souplesse économique. Avec lui, je pourrais peut-être
développer mon restaurant [l'embauche de salariés est interdite, ndlr] sans
avoir les inspecteurs constamment sur le dos.»
Marché noir. Pour l'instant,
le «modèle cubain», lui, reste immuablement fixé sur la ligne de 1959 : une
économie quasi exclusivement étatisée, où le salaire moyen distribué par le
pouvoir n'atteint que 10 dollars par mois. Une économie faite, au quotidien, de
rationnement et de marché noir, auquel se livrent quotidiennement l'immense
majorité des habitants. D'où leur intérêt pour l'état de santé du «chef de la
délégation» du sommet de cette semaine...
«Je ne pense pas qu'il puisse tenir
trois heures à une réunion internationale, ni même qu'il puisse tenir assis,
jauge Guillermo, membre d'une association illégale de défense des droits de
l'homme. Peut-être qu'il s'exprimera quelques minutes à travers un message
vidéo. Mais dans tous les cas, c'est n'importe quoi. Comment peut-il déléguer
tous ses pouvoirs le 31 juillet puis revenir pour "présider" la délégation
cubaine ? On a l'impression d'avoir deux chefs de l'Etat, l'un à moitié mourant
et l'autre, Raúl, qui ne se montre jamais. En fait, il n'y a plus de chef de
l'Etat. L'entourage [de Fidel Castro] aura peur de lui jusqu'au dernier moment.
Personne n'osera prendre les rênes tant qu'il est encore vivant.»
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