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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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8 août 2006

Jeu de poker menteur à Cuba

Les généraux cubains et Washington préparent déjà l'après-Raúl Castro et la transition politique sur l'île.

Jeu de poker menteur à Cuba

Par Alain AMMAR

QUOTIDIEN : Mardi 8 août 2006 - 06:00

 

A Cuba, rien à signaler... La continuité du régime est assurée, le peuple observe un calme olympien. A écouter les déclarations de ceux à qui on a permis de prendre la parole, pas de quoi fouetter un chat, tout est sous contrôle. A peine si, depuis le Guatemala, le ministre de la Santé confirme que le Líder Máximo va mieux et réapparaîtra bientôt pour dérouler un nouveau discours interminable dont il a le secret. En quelque sorte, tout était prévu de longue date et là se trouve sans doute l'interprétation des événements qui se déroulent sur l'île caraïbe.

Un Raúl Castro qui souffrirait d'un cancer du pancréas remplace au pied levé un Fidel Castro opéré pour une hémorragie intestinale, tout cela annoncé en pleine nuit par un secrétaire particulier qui annone un texte qui, nous dit-on, a été rédigé de la main même du «vieux». Et depuis, rien, ou presque... Du nouveau promu, aucune apparition. La télévision cubaine passe en boucle des images d'archives de Raúl, et Granma, l'organe de presse officiel, vient de republier un discours tenu... le 16 juillet, par celui qui est censé assumer «provisoirement» le pouvoir. Un discours où Raúl réclame que tous les pouvoirs soient concentrés entre les mains du Parti, alors que lui est depuis quarante-sept ans... le chef des armées. Etrange. Sauf à penser qu'à cette date Raúl savait qu'il ne pourrait pas assumer le pouvoir qui allait lui être confié, et qu'il préférait s'en remettre aux anciens de la Sierra Maestra, ceux qui tiennent le Parti, les fidèles de toujours, plutôt que de le laisser aux généraux qui ont pris depuis vingt ans une place considérable, notamment après la purge qui a suivi l'affaire Ochoa, en 1989.

Car, en regardant à la loupe, la lutte de succession qui fait rage depuis deux ans ­ après la chute accidentelle de Fidel à Bayamo, en octobre 2004 ­ semblait donner la main aux Forces armées révolutionnaires (FAR), même si quelques figures semblaient surnager aux marges d'un Fidel vieillissant, mais encore actif. Un Pérez Roque toujours prompt à réagir à la moindre critique, ou un Carlos Large créateur de la nouvelle politique économique cubaine et du peso convertible se sont mis aux abonnés absents. Exit aussi le géant noir Juan Almeida, ou le turbulent Ramiro Valdéz, ex-patron des services secrets cubains.

Les militaires, avec à leur tête les généraux Colomé Ibarra, Leopoldo Cintra Frías et Ulises Rosales del Toro, ont imposé leur suprématie, sous la protection de Raúl Castro qui les a laissés «pousser» dans son ombre. Pour mieux les engager dans ce système dévoué aux Castro, il leur a été permis de faire main basse sur l'économie du pays. Ces hauts dignitaires de l'armée ont de l'argent plein les poches : l'Agesa, société gérée par les militaires, contrôle 85 % des entreprises de l'île, et Gaviota, une autre société émanant de l'armée, est propriétaire de tous les hôtels, restaurants, clubs et autres lieux de villégiature. Sans compter les entreprises d'électronique et de communications, également entre leurs mains. Pas question de renoncer à ces prébendes, de renoncer au pouvoir. Ils s'accommodent pour l'heure de Raúl, tout en préparant en coulisse une organisation de gouvernement «Canada Dry» qui prendra les apparences de l'ancien régime pour convaincre le peuple que la révolution continue, pour maintenir sous pression les velléités des dissidents, tout en permettant un développement du commerce privé. A noter que les visites de chefs d'entreprise américains à Cuba ont été multipliées par trois depuis 2004, et ce malgré l'embargo.

Toutefois, les caciques du régime n'ont pas dit leur dernier mot. Il n'est pas insignifiant que Machado Ventura, le gardien de l'orthodoxie castriste, ait été appelé au secours par les membres du comité central du Parti. Pas étonnant non plus que l'homme considéré jusqu'à présent comme le plus proche des Américains, Ricardo Alarcón, président de l'Assemblée populaire, multiplie les déclarations en expliquant que Fidel va mieux. Car c'est de l'éventuel retour aux affaires de Fidel Castro, même affaibli, que le Parti retrouvera sa superbe. En attendant, le jeu de poker menteur se poursuit : tandis que Bush condamne cette passation de pouvoir antidémocratique, les échanges se multiplient en coulisse entre Washington et La Havane, car les nouveaux acteurs du pouvoir cubain veulent lancer des passerelles avec leur voisin, comme ils l'ont fait jusqu'en 2004. En effet, depuis 1990 existaient aux alentours de la base de Guantanamo des échanges fréquents entre officiers américains et cubains. Toutes sortes de questions étaient abordées, de la limitation des incidents entre forces militaires, jusqu'à la lutte contre les incendies. Ces contacts autour de la «ligne de démarcation» se sont intensifiés lorsque les Américains préparaient la base pour y détenir les prisonniers en provenance d'Afghanistan. Raúl Castro avait même affirmé que, si un terroriste s'échappait de la base, il serait rendu aux Américains. Ces contacts ont été rompus lorsque le régime cubain a été condamné à Genève par la Commission des droits de l'homme. Depuis, ils ont été rétablis dans la plus grande discrétion. A Cuba, l'après-Fidel semble irréversible, et l'après-Raúl déjà entamé. Washington a parfaitement compris son intérêt, car la peur de voir débarquer des hordes de balseros ­ boat people ­ sur ses côtes reste une hantise.

 

Auteur de Cuba Nostra, les secrets d'Etat de Fidel Castro, Plon, 2006.

 

http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/197554.FR.php

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