Cuba Internet
Cuba
Population : 11 271 000
Internautes : 120 000
(2002)
Prix
moyen pour 20h de connexion : 45 euros
DAI* : 0,38
Appréciation** : situation grave
La liberté d’expression est proscrite à Cuba, la
plus grande prison du monde pour les journalistes. Le régime ne tolère aucune
presse indépendante, trop attaché au contrôle de l’information distillée à ses
citoyens. Vis-à-vis d’Internet, le gouvernement a adopté une position
paradoxale. Il forme des milliers d’étudiants aux nouvelles technologies - de
source officielle, près de 30 000 seraient actuellement en formation - mais
empêche la grande majorité de la population d’accéder à la Toile. Le Net est
parfois présenté par les autorités comme « la grande maladie du XXIe siècle »,
parce qu’il abreuve les internautes d’informations « contre-révolutionnaires ».
Mais c’est également un atout incontournable pour le développement économique du
pays, comme le répète à loisir Gonzáles Planas, le ministre cubain des
Télécommunications.
Cuba est aujourd’hui l’un des dix pays du monde les plus
répressifs envers la liberté d’expression sur la Toile. Ce média est réservé à
une élite proche du pouvoir. Même ces quelques privilégiés n’accèdent
d’ailleurs, le plus souvent, qu’à un Intranet spécialement conçu et filtré par
les autorités.
Les Cubains ont trouvé des moyens de contourner cette censure
omniprésente de l’Etat, achetant au marché noir des accès à Internet ou
partageant les quelques connexions autorisées. Le gouvernement sévit toutefois
sévèrement contre toute utilisation « illégale » du Réseau. Les tribunaux de
l’île se servent d’ailleurs de plus en plus d’une accusation nouvelle,
l’utilisation « contre-révolutionnaire » du Net, pour condamner des
dissidents.
L’acquisition de matériel
strictement contrôlée
Les restrictions matérielles sont le principal
obstacle à une expansion au grand public du Réseau. D’une part, la densité
téléphonique ne dépasse pas six lignes pour cent habitants. D’autre part, le
coût prohibitif des communications téléphoniques internationales (deux dollars
la minute vers les Etats-Unis) et la rareté des lignes internationales,
accordées sur critères politiques et étroitement surveillées, empêchent toute
connexion via un fournisseur d’accès situé à l’étranger.
Les équipements
nécessaires, y compris les plus récents, ne sont disponibles que dans les
magasins d’Etat spécialisés, accessibles uniquement aux personnes autorisées. En
outre, un arrêté du ministère du Commerce intérieur interdit, depuis janvier
2002, la vente aux particuliers dans les magasins d’Etat « d’ordinateurs,
d’imprimantes, de machines à polycopier, photocopieuses et tous autres
instruments d’impression de masse ». Si un tel achat est considéré comme
indispensable, une autorisation doit être sollicitée auprès du ministère du
Commerce intérieur. Les modems étaient déjà avant cette date interdits à la
vente au public. Internet à Cuba apparaît, dans ces conditions, comme un
phénomène limité, alors que les entreprises informatiques cubaines démontrent
une parfaite maîtrise de cette nouvelle technologie.
L’accès à Internet soumis à
autorisation
Le gouvernement a légiféré dès l’apparition d’Internet
sur l’île. En juin 1996, le décret-loi 209, intitulé « Accès depuis la
République de Cuba au réseau informatique global », précise que son utilisation
ne peut se faire « en violation des principes moraux de la société cubaine ou
des textes de loi du pays », et que les messages électroniques ne doivent pas
« compromettre la sécurité nationale ».
Les Cubains souhaitant disposer d’un
accès à Internet ou utiliser les points d’accès ouverts au public doivent, pour
obtenir l’accréditation obligatoire, fournir une « raison valable », et signer
un contrat d’utilisation aux clauses restrictives. La procédure requiert, comme
pour le téléphone, l’accord d’ETEC SA, unique opérateur de télécoms du pays,
puis d’une commission locale dépendant du Comité de défense de la révolution,
qui évalue les mérites du demandeur.
Selon le décret-loi 209, l’accès est
accordé « en vertu de règlements donnant la priorité aux entités et institutions
pouvant contribuer à la vie et au développement de la nation ». Peuvent y
prétendre à ce titre, en dehors des ambassades ou des sociétés étrangères, les
personnalités politiques, les hauts fonctionnaires, les intellectuels,
universitaires, chercheurs et journalistes officiels, les cadres des entreprises
culturelles tournées vers l’exportation ou des entreprises d’informatique, ainsi
que la hiérarchie catholique.
Le 13 janvier 2000, un ministère de
l’Informatique et des Communications a été créé pour « réguler, diriger,
superviser et contrôler la politique cubaine en matière de technologies de la
communication, l’informatique, les télécommunications, les réseaux
informatiques, la radiodiffusion, le spectre radioélectrique, les services
postaux et l’industrie électronique ».
Les messageries électroniques
sous surveillance
Depuis septembre 2001, dans les points d’accès
ETEC SA, les Cubains peuvent accéder à un service de courrier électronique
national sans se connecter sur le Web, après avoir obtenu une adresse e-mail
personnelle. Une carte nominative d’accès limité à ce service coûte 3,5 euros
pour un usage de trois heures (le salaire moyen mensuel d’un Cubain tourne
autour de 10 euros). Les cartes sont nominatives. Chaque acquéreur doit
justifier de son identité, remplir un formulaire détaillé, et ses coordonnées
sont enregistrées. Le fournisseur d’accès peut ainsi contrôler tout courrier
reçu ou envoyé avant de l’émettre ou de le délivrer à son destinataire. Selon
des déclarations officielles, Cuba compterait aujourd’hui 480 000 comptes
mail.
Des salles Internet pour
accéder... à un Intranet
Les Cubains, sauf s’ils disposent d’une
autorisation formelle des autorités, ne peuvent accéder à Internet à partir d’un
point d’accès public. Le Web est ouvert uniquement aux touristes, à un tarif
prohibitif (environ 6 euros de l’heure), dans les hôtels et quelques
cybercafés.
Le gouvernement a mis en place des salles Internet, le plus
souvent dans les bureaux de poste, où les Cubains accèdent à leur messagerie
électronique ainsi qu’à un Intranet, Tu Isla (ton île), constitué de sites
sélectionnés par les autorités. Tu Isla comprend notamment les radios et
télévisions d’Etat qui diffusent leurs programmes en ligne. Pour utiliser ces
points d’accès publics, il est obligatoire de s’inscrire sur un registre et de
montrer une pièce d’identité.
Le Net au marché
noir
La diffusion, même très restreinte, des nouvelles technologies
et des accès Internet a suscité un petit marché noir du Web, encore marginal
mais déjà organisé. Certains ayants droit louent notamment leurs login et mot de
passe, pour environ 60 dollars par mois (l’équivalent de six mois de salaire
moyen). D’autres accueillent les surfeurs sur leur propre point d’accès, et
facturent la connexion au temps écoulé. Certains employés des points d’accès
ETEC SA accordent volontiers une séance de surf à leurs amis et relations,
certains moyennant finance. Enfin, des témoins affirment que des Cubains
auraient pu introduire dans l’île des paraboles et des modems leur permettant de
se connecter par satellite (Starband ou DirecPC), l’abonnement étant réglé
directement aux Etats-Unis (de l’ordre de 500 dollars la mise en service, puis
100 dollars par mois).
Un marché noir d’adresses e-mail a vu le jour et
profite aux rares Cubains disposant d’un ordinateur. Le 1er janvier 2001, une
Agence de contrôle et de supervision (ACS) a été créée au sein du ministère de
l’Informatique et des Communications, chargée notamment de traquer ceux qui
feraient "un usage indu des réseaux informatiques". Cité dans un article du
quotidien Granma publié le 23 avril 2003, Carlos Martínez
Albuerne, directeur d’ACS, rapporte que, en 2002, des sanctions ont été prises
contre 31 personnes pour ce motif ou « pour avoir utilisé des messageries
électroniques qui ne leur appartenaient pas ». L’article ne précise pas les
« sanctions » infligées.
Des journalistes emprisonnés pour
leurs écrits sur le Net
Vingt-sept journalistes indépendants ont
été arrêtés en mars 2003, faisant de l’île la plus grande prison du monde pour
la profession. Ils ont été condamnés à des peines allant de 14 à 27 ans de
détention. Leurs actes d’accusation comportent pour
la plupart des références à leur activité sur Internet. En effet, ils
utilisaient pour la plupart des sites Internet basés aux Etats-Unis pour publier
leurs articles. Parmi eux :
-
Raúl Rivero Castañeda, poète, journaliste et écrivain est accusé, entre
autres, d’avoir
publié des textes « contre-révolutionnaires » sur le site
américain Cubanet (www.cubanet.org). Il a été condamné à 20 ans
de prison.
Héctor Maseda
Gutiérrez, journaliste, est accusé, entre autres, d’avoir publié des
textes sur le site Cubanet et d’avoir reçu de l’argent de ce
média. Il a été condamné à 20 ans de prison.
Adolfo Fernández
Sainz, journaliste, est accusé, entre autres, d’avoir publié sur le
site www.nuevaprensa.org des articles
« contre-révolutionnaires » pour qu’ils « soient
utilisés, directement ou
indirectement, par le gouvernement nord-américain pour continuer sa politique
d’agression contre Cuba ». Il a été condamné à 15 ans de prison.
Julio César Gálvez Rodríguez, journaliste, est accusé, entre
autres, d’avoir reçu de l’argent de sites Internet comme Cubanet et Encuentro en la Red et d’avoir
consulté le Net à partir de la Section des intérêts américains. Il a été
condamné à 15 ans de prison.
Carmelo Díaz
Fernández, directeur de l’Agencia de Prensa Sindical
Independiente (APSIC), est accusé d’avoir publié des
articles sur Cubanet, « agence de presse financée par des
fonds octroyés par le Congrès des Etats-Unis pour effectuer un travail de
subversion contre le gouvernement de Cuba ». Il a été condamné à 15 ans de
prison.
La traque des internautes « non
autorisés »
Les autorités ont décidé, en janvier 2004, d’interdire
complètement l’utilisation du réseau téléphonique ordinaire pour accéder au Web,
afin de lutter contre les connexions pirates. Le décret gouvernemental demandait
en outre à ETEC SA « d’employer tous les moyens techniques nécessaires
permettant de détecter et d’empêcher l’accès à Internet » pour les personnes non
autorisées. Ce décret n’est pas encore entré en vigueur.
Telecom Italia, actionnaire des
télécoms cubains
Telecom Italia est actionnaire à 29,3 % d’ETEC SA,
l’unique opérateur de télécoms cubain - le reste du capital étant détenu par
l’Etat. Or, ETEC SA, qui contrôle entièrement l’Internet du pays, est utilisé
par le gouvernement pour censurer le Web et traquer les dissidents politiques.
Lors du procès des journalistes arrêtés en mars 2003, des rapports ont été
fournis par l’opérateur cubain pour prouver que les inculpés avaient utilisé le
Réseau de manière « contre-révolutionnaire ». Reporters sans frontières a écrit,
en mars 2004, au président du conseil d’administration de Telecom Italia, pour
attirer son attention sur les conséquences de la participation de son entreprise
dans ETEC SA. L’organisation lui a demandé « d’intervenir pour tenter
d’infléchir la politique du régime cubain à l’égard du Net et demander la
libération des 27 journalistes emprisonnés ».
Sites utiles
Sites publiant les articles des journalistes
indépendants
www.cubanet.org, www.nuevaprensa.org, www.cubaencuentro.com, www.cartadecuba.org
Portail officiel « Internet et
Institutions »
http://www.cubaweb.cu/esp/categorias/categories.asp ?categoryID=60
Portail de la presse officielle
http://www.cubaweb.cu/esp/categorias/categories.asp ?categoryID=20
*Le DAI (Digital Access Index) est un indice créé par l’Union internationale des télécommunications pour mesurer la capacité des individus d’un pays donné à accéder aux technologies de l’information et de la communication. Les notes vont de 0 (incapacité totale) à 1 (accès parfait).
**Les appréciations (situation bonne, moyenne, difficile, grave) ont été établies à partir de sept critères : cyberdissidents ou journalistes online tués, emprisonnés, harcelés, censure de sites d’informations, existence de sites d’informations indépendants, existence de fournisseurs d’accès indépendants, coût abusif de connexion.