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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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5 mars 2007

Cuba, de Castro à Castro

La succession entre frères se prépare sans que la répression contre l'opposition ne fléchisse.
Cuba, de Castro à Castro
Par Jacobo MACHOVER
QUOTIDIEN : lundi 5 mars 2007
Jacobo Machover écrivain, maître de conférences à l'université d'Avignon, professeur à l'Ecole supérieure de gestion de Paris. Dernier ouvrage paru : Cuba, totalitarisme tropical, Buchet-Chastel et 10/18.

Tandis que Fidel Castro agonise, d'autres Cubains meurent, loin des projecteurs et de l'intérêt de l'opinion publique mondiale. C'est le cas de Mario Chanes de Armas, décédé à Miami le 24 février, qui purgea trente ans de prison (pas une de plus, pas une de moins) dans les geôles castristes entre 1961 et 1991. Ce fut le plus vieux prisonnier politique du monde. Chanes était un plantado, un inébranlable, un homme libre qui avait toujours refusé de se soumettre aux plans de réhabilitation politique marxiste-léniniste que le pouvoir entendait imposer à ses victimes. Avant de se retrouver en prison, il avait participé, aux côtés du Líder Máximo et de son frère Raúl, à l'attaque de la caserne Moncada en 1953 et au débarquement du yacht Granma en 1956. Lors de l'arrivée des troupes castristes à La Havane, en 1959, il se trouvait (déjà) en prison, sous la dictature de Fulgencio Batista. Il collabora ensuite avec le nouveau pouvoir, avant de s'en écarter, car il n'acceptait pas son évolution vers le communisme. Il continuait à se définir, peu de temps avant sa mort en exil, comme «révolutionnaire» et «démocrate» . Avec lui disparaît l'un des principaux témoins de la répression sans pitié menée à bien par le pouvoir castriste contre ses opposants.
Mario Chanes de Armas n'est pas le seul. En août 2006, quelques jours après la délégation du pouvoir des mains de Fidel à celles de Raúl, mourait à La Havane Gustavo Arcos, l'un des principaux opposants au régime, président du Comité cubain pour les droits de l'homme. Lui aussi avait été un proche des frères Castro, lui aussi avait participé à l'attaque de la caserne Moncada, au cours de laquelle il avait été sérieusement blessé. Après la prise du pouvoir, il avait même été nommé ambassadeur en Belgique. Sa conscience, pourtant, lui interdisait de continuer à cautionner les atteintes aux libertés perpétrées dans l'île. Il paya ses désaccords par de longues années de prison, mais poursuivit ses activités en faveur du rétablissement des libertés démocratiques jusqu'à la fin de sa vie.
Miguel Valdés Tamayo a, lui aussi, disparu pendant cette étrange succession. Ce dissident, arrêté au cours du «printemps noir» 2003, qui vit la condamnation jusqu'à vingt-huit ans de prison de 75 opposants pacifiques, militants pour les droits de l'homme, journalistes et bibliothécaires indépendants, s'éteignit d'un arrêt cardiaque en janvier à La Havane. Il avait été relâché pour raisons de santé mais demeurait sous la menace d'être renvoyé derrière les barreaux au nom d'une «licence extra-pénale» dont il faisait l'objet. Les autorités cubaines refusèrent de le laisser partir se soigner aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis, pays dont il avait obtenu le visa.
Ce sont là les dernières victimes en date d'un régime impitoyable. Ceux-là, cependant, ont encore eu la chance d'avoir un nom. Car il y a aussi tous ceux, anonymes, qui ont disparu après avoir risqué leur vie et continuent à le faire tous les jours dans le détroit de la Floride ou la mer des Caraïbes en tentant d'atteindre la liberté à bord de radeaux de fortune, les balsas, ou sur d'autres embarcations faites de bric et de broc.
Pendant ce temps, les observateurs guettent le moindre signe d'ouverture d'un régime dont la seule prétention est de se perpétuer éternellement, pour maintenir en place une légende révolutionnaire qui a fait son temps, ainsi que les responsables d'une répression qui craignent de voir un jour leurs victimes (ou leurs descendants, car nombre d'entre elles ne seront plus là pour le faire) réclamer des comptes. La seule possibilité de continuité du pouvoir, c'est le petit frère (75 ans) de Fidel Castro et une clique de révolutionnaires «historiques» et de jeunes technocrates aux ordres, aidés en cela par le pétrole vénézuélien fourni par le président Hugo Chávez, ex-putschiste et héritier autoproclamé du castrisme, en échange d'une coopération militaire, civile et idéologique, qui permet à celui-ci de suivre, de manière caricaturale, le cours suivi, il y a de cela presque cinquante ans, par la révolution cubaine.
Raúl Castro, cependant, n'a aucune des capacités de mobilisation de masse qu'avait son frère. Il ne suscite, à l'intérieur de l'île comme à l'extérieur, aucune sympathie. Personnage falot, toujours à l'ombre du Commandant en chef (qu'il appela «notre papa» en 1989, dans un discours mémorable prononcé lors de l'«affaire Ochoa», lorsque quatre officiers supérieurs furent condamnés à mort et fusillés), il est lui-même de santé physique et mentale fragile. Mais il sait instiller la crainte au sein du peuple cubain, ce qu'il a fait dès les débuts de la révolution, en 1959, en faisant fusiller 68 personnes en une nuit à Santiago de Cuba. Il contrôle aujourd'hui les leviers de l'économie cubaine grâce à la mainmise des militaires à sa botte sur les principales entreprises d'Etat (tourisme, télécommunications, électronique). Il peut, du fait de cette domination, apparaître comme un homme ouvert aux vents de l'extérieur, qu'ils soient chinois ou vietnamiens, mais sans dépasser les limites dictées par son frère. Il n'en a ni la force ni le désir. La moindre ouverture démocratique pourrait signifier la fin du règne de la famille Castro, qui a assis son pouvoir sur la répression, la délation et la sympathie forcée d'une population qui n'en peut plus de toutes ces décennies passées dans la pénurie et la mobilisation guerrière permanente, soi-disant «spontanée».
Car le désespoir est grand au sein d'une population qui ne perçoit que la continuité d'un régime obsolète, appuyé par tant d'intellectuels et d'hommes politiques qui n'hésitent pas à s'insurger contre toute atteinte à la démocratie n'importe où dans le monde, mais pas à Cuba. Pourquoi ce silence ?
Il est du devoir de la communauté internationale de faire enfin entendre sa voix, comme l'a fait le seul président du Costa Rica, le prix Nobel de la paix Oscar Arias, en condamnant sans ambiguïté la prétention du régime à refuser toute ouverture démocratique, en maintenant dans ses geôles des centaines de prisonniers.
Pour Cuba aussi, l'heure est venue d'accéder au rang de nation libre, débarrassée des utopies messianiques et sanglantes qui ont tant fait fantasmer les rêveurs professionnels partout dans le monde, mais signifient un cauchemar sans fin pour les Cubains de l'île et de l'exil.

http://www.liberation.fr/rebonds/238657.FR.php

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