Journée mondiale de la liberté de la presse - Un autre printemps noir à Cuba
Raul Rivero
Journaliste
Édition du mercredi 3 mai 2006
Se réveiller chaque matin dans une cellule de prison est une expérience qui affaiblit la volonté de vivre. Petit-déjeuner d'une tranche de pain sale et moisie avec de l'eau sucrée, en attendant quelques cuillerées de riz et d'herbes au déjeuner et le même menu au dîner, est un antidote à toute lueur d'espoir. Si vous devez attendre trois mois avant de voir votre famille pendant quelques heures dans une cellule, sur des bancs de pierre, sous l'oeil vigilant des gardiens, vous pouvez difficilement être impatient à l'idée de retrouver et de partager un moment avec ceux que vous aimez.
|
Telle a été ma vie pendant deux ans. Et telle est la
vie, en ce merveilleux jour de printemps de l'année 2006, de Víctor
Rolando Arroyo, journaliste à l'agence de presse indépendante Unión de
Periodistas y Escritores de Cuba Independientes (UPECI), dans la prison
du commandant Castro à Guantánamo, un entrepôt humain qui fonctionne
depuis plus de 30 ans.
Les dizaines de journalistes qui souffrent de la faim, de la
maladie et de mauvais traitements dans les prisons de l'île de Cuba
sont les otages d'une bande de compères qui ont pris le pouvoir par la
force et qui s'y maintiennent par la force depuis presque un
demi-siècle, un pouvoir qui s'appuie sur la police et la propagande.
Mal soignés
Le jeune reporter Pablo Pacheco fait l'objet d'horribles
traitements dans la prison de Canaleta, de même que ses collègues Pedro
Argüelles et Adolfo Fernández Sainz et le jeune photojournaliste Omar
Rodríguez Saludes. Ils ont tous été condamnés à 28 ans de prison en
2003 pour avoir photographié et filmé des aspects de la société cubaine
que le régime dictatorial ne souhaite pas dévoiler.
Une autre victime est Normando Hernández, un journaliste qui a
lancé un petit magazine à partir de chez lui, dans la ville de
Camagüey. Il n'a réussi qu'à publier la première édition. Les tribunaux
révolutionnaires ont immédiatement réclamé la prison à perpétuité pour
Hernández, même si cette condamnation a par la suite été gracieusement
commuée en 25 ans d'emprisonnement.
Hernández, comme beaucoup d'autres comme lui, souffre
également d'affections mal soignées en raison du manque de médicaments
et du surpeuplement des prisons. Dans des cellules à l'origine conçues
pour accueillir 20 détenus, on trouve souvent 35 ou 40 prisonniers,
obligés de dormir à même le sol et de partager les mêmes toilettes et
la même quantité d'eau rationnée.
C'est exactement la façon dont vit à présent le poète
et journaliste Ricardo González Alfonso dans le pénitencier de
Combinado del Este à La Havane. Son état est aggravé par le fait qu'il
a subi deux opérations dans les blocs opératoires douteux de la prison
et que sa blessure initiale, qui date de novembre 2004, continue de
suppurer et ne paraît jamais cicatriser.
De la même façon, Fabio Prieto Lorente, un jeune
correspondant confiné dans une prison sur l'île de Pinos, à 120
kilomètres au sud de La Havane, voit sa jeunesse lui échapper peu à peu
pour avoir couvert la réalité d'un pays où la brutalité s'exerce
librement en raison de l'absence de représentation diplomatique et de
journalistes pour dénoncer les abus.
Pendant ce temps, dans le centre de détention de Guanajay, à
quelques kilomètres à peine de la capitale cubaine, des médecins
militaires ont finalement fini par reconnaître que le journaliste
souffrant José Ubaldo Izquierdo, emprisonné depuis mars 2003, ne
parviendrait jamais à se rétablir dans des conditions de vie aussi
difficiles. Izquierdo, qui est âgé de 40 ans et qui a travaillé comme
éditorialiste pour une agence de presse cubaine indépendante, purge
actuellement 16 ans de prison.
La liberté en prison
Nous savons qu'à Cuba, la Journée mondiale de la liberté de la
presse ne peut être célébrée avec dignité que dans les cellules des 300
prisons disséminées à travers cette île des Caraïbes. Les prisonniers
sont enfermés dans des cellules obscures où ils ont été jetés pour
avoir voulu être libres dans un pays où la liberté n'est plus qu'un mot
vide, dépourvu de sens dans la bouche des scribes, un mot qui envoie
les hommes libres en prison s'ils osent le prononcer.
Mais ce n'est que là, dans ces cellules où l'espoir continue de
subsister, qu'on peut légitimement et honnêtement porter un toast à
cette journée -- même si c'est dans une tasse sale en aluminium remplie
de l'eau tiède et trouble qui provient des sources souterraines de
Cuba.
* Au printemps 2003, le journaliste Raul Rivero a été arrêté avec
28 de ses collègues et condamné à 20 ans de prison. Il a été libéré
pour raisons de santé en novembre 2004. Poète, journaliste et
cofondateur de l'agence de presse indépendante CubaPress, Rivero a une
carrière journalistique qui s'étend sur plus de trois décennies. Il
réside aujourd'hui à Madrid, où il travaille comme éditorialiste pour
le journal El Mundo et comme conseiller éditorial pour le magazine
Encuentro. Raul Rivero a écrit cet article pour l'Association mondiale
des journaux à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la
presse.