A Cuba, tout va bien, par Dominique Dhombres
Chronique
A Cuba, tout va bien, par Dominique
Dhombres
LE MONDE | 10.01.06 | 13h46 • Mis à jour le 10.01.06 |
13h46
Les touristes étrangers qui barbotent dans les eaux transparentes
de la presqu'île cubaine de Varadero savent parfaitement qu'ils ont acheté à
très bas prix leur séjour dans ces lieux paradisiaques situés dans un pays
prétendument communiste. Les buffets qui leur sont destinés regorgent de
crevettes, de langoustes et de fruits tropicaux.
Ils ont envie de viande
rouge ? Il suffit de demander. Les plages sont immenses et superbes... Les
auteurs du reportage diffusé lundi 9 janvier dans "90 minutes" sur Canal+ sont
allés regarder derrière le décor.
Il s'agit d'une "enquête clandestine sur
l'apartheid cubain", rien de moins. Le ton du commentaire prête parfois à
sourire. Nos faux touristes sont des vrais journalistes, mais il n'y avait pas
besoin d'en faire des tonnes pour expliquer que Cuba est une destination
touristique de masse assez spéciale. Les touristes vivent dans des enclaves
telles que Varadero, séparés de la population par une barrière invisible et très
efficace : la peur.
Il en coûte très cher à un simple Cubain d'approcher un
étranger. Ceux qui le font ont généralement quelque chose à vendre : des cigares
fabriqués à domicile avec du tabac volé dans les manufactures d'Etat ou, comme
des milliers de jineteras (écuyères), tout simplement leur corps. Le marché noir
et la prostitution ne se sont jamais aussi bien portés, à Cuba. Il faut remonter
au temps de Batista, le dictateur renversé par Castro, pour retrouver autant de
trafics et de putains.
Le mot "apartheid" est fort. Il implique une
ségrégation raciale. Mais il y a bel et bien ce mur virtuel, soigneusement
entretenu par la police, qui sépare la population des touristes étrangers.
Plusieurs Cubains, interrogés "clandestinement", affirment ne pas avoir mangé de
viande rouge depuis quinze ans. Les magasins d'Etat contiennent du riz et des
haricots. Il faut un carnet de rationnement pour y avoir accès.
Mais au
marché noir on trouve à peu près tout. Sauf précisément de la viande de boeuf,
que le régime a décidé d'interdire aux simples gens.
Cet honnête reportage,
que l'auteur de ces lignes regrette déjà d'avoir traité avec un peu d'ironie, se
termine par une affiche qui résume la paranoïa du régime et de son chef. "Vamos
bien" ("Nous allons bien"), peut-on lire sur d'immenses panneaux, avec le
portrait de Castro. En réalité, le dictateur est malade, et le pays ne va pas
mieux.
DOMINIQUE DHOMBRES
Article paru dans l'édition du
11.01.06
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-729340,0.html