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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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23 novembre 2005

Vingt ans de prison pour une plume

Vingt ans de prison pour une plume

Parmi les 75 opposants jetés en prison en mars 2003, un journaliste parrainé
par «Libération».

mercredi 12 octobre 2005 (Liberation - 06:00)

La Havane envoyé spécial

l travaillait avec un stylo, un calepin et, au fond de la poche, des pièces
de quelques centavos pour les cabines téléphoniques ­ quand elles
fonctionnaient. Il en a pris pour vingt ans. Fabio Prieto Llorente, 42 ans,
est en prison depuis mars 2003 ­ quand Fidel Castro a déclenché une des plus
grandes vagues de répression dans l'île, en arrêtant et condamnant
sommairement 75 opposants et journalistes dits «indépendants». L'épithète
est mal choisie ou superflue. «Mon frère ne voulait que raconter ce qui se
passe ici, les histoires des gens, les problèmes quotidiens, à l'école ou
dans les hôpitaux... explique Clara Lourdes Prieto Llorente, la soeur du
journaliste. Souvent des "petites" histoires : par exemple, un peu avant son
arrestation, comment des policiers rackettaient un gamin en liberté
provisoire en exigeant qu'il se présente trois fois par jour au
commissariat, ce qui est contraire à la loi, et en lui demandant 50 pesos
par jour (deux dollars, un sixième du salaire minimum).»
Isolé. Fabio Prieto Llorente travaillait sur l'île de la Jeunesse, au
sud-ouest de Cuba, encore connue par les Cubains comme l'île des Pins, son
nom d'avant la révolution. Moins d'un an après son procès, il a été
transféré à des centaines de kilomètres de là, dans une prison de Camagüey,
dans le centre de Cuba. Pour les rares visites autorisées, deux heures tous
les quatre mois dans le meilleur des cas, il faut six jours à sa soeur et à
sa mère pour faire l'aller-retour à Camaguey. «Et le 31 août, ils l'ont mis
à l'isolement total, donc je ne sais pas quand je pourrai le voir», dit
Clara Lourdes. Depuis huit mois, le journaliste est en «cellule de
châtiment» : «1,10 mètre sur 2,5, il ne peut même pas marcher et ne voit
jamais la lumière du jour.» Selon sa soeur, Fabio Prieto Llorente serait
malade, souffrant d'une bronchite aiguë due à ses conditions de détention.
Fabio Prieto Llorente est parrainé par Libération à travers l'association
Reporters sans frontières, mais il n'est qu'un parmi d'autres. Des dizaines
de journalistes sont emprisonnés actuellement à Cuba, pour avoir transmis
des informations sur la situation dans l'île, à travers ces quelques
«agences de presse» indépendantes qui se sont montées ces dernières années,
Cuba Press, Havana Press, La Voz, etc. En fait d'«agences», les moyens sont
très limités. Une petite poignée d'amis et de collègues qui travaillent à
domicile, pas de locaux, peu de matériel, un ordinateur parfois... Les
articles sont ensuite repris sur des sites Internet installés en Floride ou
en Europe, notamment en Espagne : NuevaPrensa, Cubanet, ou le site de la
célèbre revue politico-culturelle cubaine à Madrid, Encuentro (1).
Commentaires acerbes sur le régime, le point sur la répression contre les
dissidents, mais aussi des articles et des reportages sur la vie à Cuba : la
fermeture de telle usine de chaussures dans une ville de province faute de
matières premières, la pénurie sur les marchés... Bref, comme écrit l'un
d'entre eux, ces journalistes «ne parlent pas de la lumière du socialisme
réel, cette flamme qu'une troupe gonflée d'enthousiasme est chargée d'aviver
par ses louanges». C'est pour cela qu'ils sont embastillés, traités de
mercenaires, contre-révolutionnaires, apatrides... «Faire du journalisme en
dehors des limites fixées par les commissaires qui gèrent les ruines de
cette république est un crime.»
Détonateur. L'agence Cuba Press fut la première du genre. Il y a dix ans
presque jour pour jour qu'elle a commencé à tourner, avec cinq ou six
antiques machines à écrire. Aujourd'hui, le noyau fondateur est dispersé
entre l'exil et la prison. Ce même noyau a publié, en décembre 2002, la
première ­ et dernière ­ revue indépendante de l'île, De Cuba, dont les
exemplaires sont aujourd'hui introuvables. Au sommaire : l'Etat de droit et
les problèmes économiques du secteur du sucre, la boxe cubaine et la
discrimination raciale, des poèmes, des reportages photo... «Aucun
gouvernement, même en situation adverse, ne peut limiter les droits de
s'exprimer et d'informer librement», écrivait alors Ricardo Gonzalez dans
son éditorial. Il est aujourd'hui en prison, pour vingt ans lui aussi. Le
second numéro de De Cuba est sorti en février 2003. C'est deux numéros de
trop pour la dictature. «Cette tentative a été un des détonateurs les plus
importants de la répression» de mars 2003, explique le journaliste et
économiste Oscar Espinosa Chepe, qui a fait partie de l'aventure avant
d'être condamné à vingt ans, puis d'être remis en liberté (provisoire) pour
raisons de santé, jusqu'à ce que les autorités pénitentiaires «le
considèrent nécessaire».

(1) cubanet.org ; www.nuevaprensa.org ; cubaencuentro .com

http://www.liberation.fr/page.php?Article=330425

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