Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
Publicité
Archives
8 août 2009

Les taupes de Fidel Castro aux Etats-Unis

Les taupes de Fidel Castro aux Etats-Unis
Par Axel Gyldèn, publié le 08/08/2009 10:00

Au-dessus de tout soupçon, un couple de septuagénaires américains a espionné pour le compte de Fidel Castro pendant... trois décennies ! Histoire d'une double vie qui confirme le brio des services secrets cubains.

Cette fois-là, Walter Kendall Myers a manqué de vigilance. C'est une faute professionnelle pour un agent secret. Le 15 avril dernier, lorsqu'un inconnu l'aborde sur un trottoir de Washington, lui souhaite « bon anniversaire » et lui tend un « puro » - l'un de ces cigares cubains interdits de vente aux Etats-Unis - ce distingué haut fonctionnaire à la retraite est persuadé d'avoir affaire à son « officier traitant » de La Havane. Erreur fatale : l'inconnu en question est en réalité un enquêteur du FBI qui boucle trois ans d'investigations. Et s'apprête à faire éclater au grand jour une affaire d'espionnage digne des meilleurs polars de John le Carré.

Taupe ayant ses accès dans les sommets de la diplomatie américaine, Kendall Myers, 72 ans, travaillait en effet pour le compte de Cuba... depuis trois décennies ! Expert et analyste en relations internationales au Département d'Etat, ce gentleman au profil d'aristocrate anglais détenait une accréditation « top secret ».

Il pouvait ainsi accéder quotidiennement à la base de données de cette administration, aujourd'hui dirigée par Hillary Clinton. Avec l'aide de sa femme, Gwendolyn, 71 ans, assistante de direction à la banque Riggs, le fonctionnaire a transmis des milliers de documents et d'informations ultrasensibles à ses officiers traitants, qui, à leur tour, les acheminaient directement vers le bureau de Fidel Castro.

Arrière-petit-fils de l'inventeur du téléphone Alexander Graham Bell, Kendall Myers présentait pourtant un pedigree au-dessus de tout soupçon. Issus de la bonne bourgeoisie américaine, lui et son épouse vivaient dans un immeuble chic des beaux quartiers de Washington. Amis, famille, collègues ne leur connaissaient qu'une seule passion : la voile, que ce couple BCBG pratiquait chaque week-end à bord de son « 37-pieds ». Jamais, au grand jamais, ils n'avaient manifesté devant eux le moindre intérêt pour la politique latino-américaine ni mentionné le nom de Cuba.

Au reste, l'île castriste ne relevait pas, au Département d'Etat, du domaine de compétence de Kendall Myers : spécialiste de l'Europe occidentale, il s'était, ces derniers temps, attelé à la rédaction d'une biographie du Premier ministre britannique Chamberlain, l'homme des accords de Munich, qu'il admire. Une voisine résume la stupéfaction générale : « Pour moi, c'est comme si le FBI venait d'arrêter le Père Noël et Bugs Bunny ! »

En cet après-midi fatidique du 15 avril, le vrai-faux officier traitant cubain demande à Kendall Myers de le retrouver, le soir même, au bar d'un hôtel. Deux autres rencontres secrètes suivront, les 16 et 30 avril, toujours à Washington, mais dans l'intimité de chambres d'hôtels. Habitué à travailler en tandem, Kendall Myers vient chaque fois avec Gwendolyn, sa femme, sa complice. Au fil de cinq heures de discussions au total, l'agent du FBI multiplie les questions pièges afin de vérifier les éléments de l'enquête en sa possession.

En confiance, les septuagénaires n'y voient que du feu. « Comment va tout le monde, à la maison ? » interrogent-ils d'emblée avant d'exprimer leur amour immodéré pour l'île communiste, où ils rêvent de se rendre un jour à la voile, car « Cuba compte vraiment pour [eux] ». L'instant d'après, badins, ils dénigrent les Etats-Unis : « Le problème de ce pays, c'est qu'il y a trop d'Américains. »

Mais l'essentiel est ailleurs : lors des trois rendez-vous secrets, par petites touches, les époux Myers livrent d'innombrables et fascinants détails sur leur travail d'agents cubains. Qui, mis bout à bout, reconstituent le puzzle de trente années d'une incroyable double vie.

Kendall recopie les documents à l'encre sympathique

Titulaire d'un doctorat en relations internationales, Kendall Myers entame sa carrière au Département d'Etat à la fin des années 1970. Spécialiste de l'Europe, il est d'abord enseignant au sein du Foreign Service Institute (FSI), où il prépare les diplomates en partance pour le Vieux Continent. En 1978, lui-même assiste, en auditeur libre, à une conférence sur Cuba donnée par un diplomate de ce pays. A la fin de sa présentation, le Cubain invite Kendall Myers à participer à un voyage d'études non officiel sur l'île, où il se rend en décembre 1978, pendant deux semaines.

Sur place, l'Américain est pris en main, à son insu, par les services cubains, qui lui réservent leur meilleur « tratamiento », lequel consiste à présenter à leurs invités de marque la révolution sous son meilleur jour. Le « traitement » est couronné de succès. Sur un carnet de l'année 1978, retrouvé à son domicile, Kendall Myers écrit : « Cuba est passionnante. Les Cubains ont-ils renoncé à leur liberté sur l'autel du matérialisme ? Je ne le crois pas. Rien de précieux n'a été perdu pendant la Révolution. » Pour ce père de famille en instance de divorce, traumatisé par la perte d'un fils adolescent dans un accident de voiture, le voyage initiatique à La Havane est le tournant d'une vie.

Six mois plus tard, le conférencier cubain refait son apparition dans le Dakota du Sud, où Kendall Myers s'est installé avec sa nouvelle compagne, qui va devenir sa seconde femme, Gwendolyn, une assistante parlementaire démocrate engagée dans l'action sociale, après avoir milité contre la guerre du Vietnam. Le diplomate cubain les incite à rentrer à Washington, ce qu'ils font en 1980.

Les Myers héritent alors de noms de code cubains : « Agent 202 » pour Kendall, « Agent 123 » ou « E-634 » pour Gwendolyn. Recalé à l'examen d'entrée de la CIA, « A-202 » réintègre, l'année suivante, son poste d'enseignant au Département d'Etat, où, dès 1985, il a accès aux informations « confidentielles » et « secrètes ». En 1999, il rejoint le saint des saints, le Bureau du renseignement et de recherche (INR). Et son accréditation atteint le niveau maximum : « top secret/SCI »(Special compartmented information ; documents codés).

Au début de sa carrière, Kendall recopie les documents dignes d'intérêt à l'encre sympathique. Parfois, il se risque à les emporter chez lui. Tout en prenant soin de les remettre à leur place dès le lendemain. « Le plus sûr, estime Kendall, c'est d'apprendre les dossiers par coeur. » D'août 2006 à octobre 2007, la taupe consulte ainsi plus de 200 dossiers de la base de données ayant trait à Cuba.

Reste à transmettre ces précieuses informations à La Havane. Les Myers disposent d'une radio à ondes courtes, fournie par Cuba, avec laquelle ils reçoivent leurs instructions et envoient des messages cryptés à La Havane. Retrouvé dans leur appartement, l'appareil est identique à celui qu'utilisait Ana Belen Montes, la taupe procubaine du Pentagone, tombée en 2001 (voir ci-dessous).

Pour sa part, Gwendolyn a un faible pour la technique de l'échange furtif de chariots dans les supermarchés où elle fait ses emplettes. « C'est la méthode que je préférais parce que c'était facile, a-t-elle avoué au FBI. Mais je ne le ferais plus aujourd'hui, à cause des caméras partout. » Les agents 202 et 123 rencontrent aussi, régulièrement, leurs officiers traitants dans des pays tiers : Jamaïque, Trinité-et-Tobago, Mexique, Brésil, Equateur, Argentine, et même (une fois) France. Des aveux qui « collent » avec les registres des douanes américaines pour la période 2002-2005.

Le couple d'espions évoque également un voyage à Cuba, en 1995, sous une fausse identité. Sur place, les Myers sont hébergés dans une maison de dignitaires. Un soir, ils reçoivent la visite, pendant quatre heures, de Fidel Castro en personne. « Fidel est merveilleux, juste merveilleux », s'extasie A-202 devant l'enquêteur du FBI, avant qu'A-123 se pâme à son tour : « Il est l'homme d'Etat le plus incroyable de ces cent dernières années, bon sang ! »

En 2006, Kendall Myers commet un faux pas. Lors d'une conférence remarquée à l'université John-Hopkins de Washington, ce fin connaisseur du Royaume-Uni critique durement l'alliance militaire anglo-américaine en Irak : il dit « espérer » que Tony Blair rompra avec George W. Bush.

De la part d'un éminent analyste gouvernemental, cette sortie attire l'attention. Au point que le Timesde Londres consacre, le 30 novembre, un long article aux positions iconoclastes du haut fonctionnaire américain. La même année, après un voyage en Chine, Myers est convoqué pour un entretien d'évaluation. Il en ressort avec le désagréable pressentiment qu'il figure sur une liste d'éléments à surveiller. Rongé par l'anxiété, l'espion choisit d'avancer d'une année son départ à la retraite. Trop tard.

Le 4 juin dernier, lors d'un quatrième rendez-vous, les enquêteurs du FBI tombent le masque. Le piège se referme sur les septuagénaires, qui sont appréhendés. Ils risquent jusqu'à trente-cinq ans de prison pour haute trahison et forfaiture. L'affaire Myers est « incroyablement sérieuse », estiment les autorités américaines.

De son côté, Fidel Castro, dans un article publié le 6 juin à La Havane, ironise sur cette « histoire de bande dessinée » tout en prenant soin de préciser que, si les Myers s'étaient effectivement mis au service de la révolution cubaine, « ils mériteraient tous les honneurs du monde ». « Il faudra des années pour déterminer l'étendue des dégâts », calcule pour sa part l'ex-analyste en chef de la CIA et spécialiste de Cuba Brian Latell (1), qui range l'espionnage cubain parmi les six meilleurs du monde.

La patience est l'un des principaux mérites des services castristes. Ceux-ci sont disposés à attendre plusieurs années, voire des décennies, jusqu'à ce que leurs agents atteignent des positions stratégiques chez l'ennemi. Tel était bien le cas de Kendall Myers qui, en sus de son accès permanent à des documents secrets, était en contact quotidien avec des analystes de la CIA. En outre, la taupe ne s'est probablement pas limitée à transmettre des documents. Enseignant au FSI, il était idéalement placé pour observer la psychologie de ses élèves. Et repérer ceux d'entre eux qui mériteraient de faire l'objet d'un effort de recrutement de la part des services cubains.

Autre force du renseignement castriste : ses agents sont difficiles à détecter, car leur motivation est avant tout idéologique et ne repose pas sur l'appât du gain. Purement idéalistes, les époux Myers n'ont pas reçu le moindre peso pour rémunération de leur travail. Peu avant leur arrestation, ils réitéraient leur foi dans la révolution. « J'ai une grande admiration pour Ana Belen Montes (l'espionne procubaine condamnée), indiquait, par exemple, Kendall. Pour moi, c'est une héroïne. Mais elle a pris trop de risques. A mes yeux, elle n'était pas assez parano... » A l'évidence, les Myers, qui rêvaient de cingler vers Cuba pour y finir leurs vieux jours, non plus.

Les taupes de Fidel Castro aux Etats-Unis
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/les-taupes-de-fidel-castro-aux-etats-unis_779183.html

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité