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28 mars 2007

Cuba : les salariés n'ont que les miettes du boom touristique

Economie
Cuba : les salariés n'ont que les miettes du boom touristique
L'Expansion

Devant l'hôtel Melia Cohiba, sur le front de mer de La Havane, Miguel, portier de 42 ans, orchestre la valse des taxis et des touristes. « Européens, Asiatiques, Latino-Américains... Tout le monde vient à Cuba. Même les Nord-Américains bravent l'embargo », lâche-t-il avec malice. Mais Miguel n'en récolte guère les fruits. Si le groupe espagnol Sol Melia verse des centaines d'euros pour ses services, l'Etat cubain en prélève 97 % à la source ! Au bout du compte, son salaire horaire de base dépasse à peine les 6 centimes d'euro.

Comptoir en marbre, canapés moelleux, lumières tamisées... Le luxe des cinq- étoiles de La Havane n'a rien à envier à celui des hôtels de Floride. « Pendant la journée, je nettoie des chambres superbes, mais, le soir, je rentre dans un appartement délabré », soupire Tania, qui travaille au Sevilla, hôtel géré par Accor. Pour recruter cette femme de chambre de 29 ans, le groupe français a dû passer par une des bourses du travail dirigées par le ministère du Tourisme ou par l'armée. « Les entreprises gèrent les hôtels, mais pas le personnel, qui reste le monopole du régime », explique un cadre du secteur.

Accor administre trois établissements comptant 900 salariés, loin derrière Sol Melia, premier recruteur étranger avec 24 hôtels et 7 000 employés. Chaque mois, ces géants du tourisme versent à l'Etat - et en dollars s'il vous plaît - l'équivalent de 300 à 600 euros (charges comprises) par salarié. Mais seulement 250 à 450 pesos (7 à 13 euros) atterrissent dans la poche des intéressés...

Un marché noir florissant

Pas étonnant, dans ces conditions, que le tourisme soit devenu l'un des principaux poumons économiques de l'île. Pour résister à la crise, liée à la chute de l'Union soviétique, Fidel Castro a ouvert le pays aux investisseurs du secteur par le biais de sociétés mixtes, détenues en majorité par l'Etat. Depuis, le marché connaît un véritable boom, avec près de 2,5 millions de visiteurs en 2006, et le tourisme est la deuxième source de devises du pays après les transferts de dollars de la diaspora cubaine des Etats-Unis.

Evidemment, les cadres étrangers échappent à la tutelle du régime. « Ils n'accepteraient jamais de telles conditions salariales ! Officiellement, ce système confiscatoire empêche le développement de classes intermédiaires et finance la gratuité de l'éducation ou de la santé », explique un patron européen installé à Cuba.

Ces retenues sur les salaires font en tout cas le lit du marché noir. Seulement la moitié des revenus de la population proviendrait des rémunérations officielles, selon un rapport du Centre d'études de l'économie cubaine de 2003. En 2006, le salaire minimal a été augmenté (225 pesos mensuels, soit 6,50 euros), mais les Cubains subissent toujours des pénuries en tout genre. « Les cartes de rationnement mensuelles permettent de se procurer du riz, des haricots ou de la viande pour une quinzaine de jours. Après, il faut se débrouiller », explique Juan, un chauffeur de 56 ans, en tirant sur une cigarette américaine.

Des sodas aux téléphones portables, les produits occidentaux s'achètent en chavitos, surnom donné au peso convertible. Cette seconde monnaie, instaurée en 2004, a remplacé le dollar. Depuis, le pays vit dans une double économie, où 24 pesos cubains valent 1 peso convertible (soit 1,08 dollar ou 0,80 euro). Grâce aux pourboires, versés en chavitos, les employés du tourisme multiplient leurs salaires par cinq ou six et font figure de privilégiés, en dépit de la faiblesse de leur rémunération officielle.

Un secteur sous influence politique

Alfonso, serveur de 45 ans, était professeur de sciences à l'université de La Havane. Ce père de famille n'a pas hésité à troquer ses livres pour un tablier dans un hôtel du Groupe Sol Melia à Vara- dero, une station balnéaire. « Comme enseignant, je gagnais 500 pesos [17 euros] par mois. Maintenant, je peux équiper mon foyer en électroménager », explique-t-il. Pour bénéficier de ces maigres privilèges, la sélection est rude. « Plus besoin d'être membre du parti pour entrer dans le tourisme. Mais, une fois admis, mieux vaut adhérer au syndicat unique et aller aux meetings si on veut garder sa place », confie une guide de Cubanacan, l'un des fleurons du tourisme d'Etat.

Quelles responsabilités prennent les entreprises étrangères en acceptant ce « pillage » des salariés cubains ? « Il nous arrive de dire non, mais on n'est pas là pour changer le système », répond le directeur du développement d'un de ces grands groupes qui se plient au racket du régime dans l'espoir qu'un jour l'île accueillera cinq fois plus de touristes...

Frédéric Bon, à La Havane
http://www.lexpansion.com/art/15.0.155923.0.html

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