Avec Raúl Castro, pas la moindre ouverture à Cuba
«Avec Raúl Castro, pas la moindre ouverture à Cuba»
INTERVIEW • Elizardo
Sanchez, dissident, dirige une ONG interdite de défense des droits de
l'Homme.
Par Eric LANDAL
QUOTIDIEN : lundi 26 février 2007
à La
Havane
Venu du marxisme, Elizardo Sánchez Santa Cruz est dans la
dissidence depuis une quarantaine d'années, dont plus de huit passées en prison.
Il dirige aujourd'hui la Commission cubaine pour les droits de l'homme et la
réconciliation nationale, une ONG illégale à Cuba, affiliée à la Fédération
internationale des droits de l'homme.
La situation évolue-t-elle à Cuba
?
L'apparition de Fidel Castro à la télévision, le 30 janvier, est un
message inquiétant pour les Cubains : le symbole du pouvoir totalitaire est sur
pied. Il n'est sans doute plus chargé du quotidien, mais il surveille la
politique du régime, qui n'a pas changé d'une virgule. C'est écrit sur les
bâtiments officiels : dans son calendrier, Cuba vient d'entrer en «l'an 49 de la
Révolution». L'an prochain, nous entrerons donc en «l'an 50». Un demi-siècle,
c'est terrible. Un demi-siècle, ça veut dire qu'il serait temps de donner une
chance au peuple. Pour son aventure totalitaire, le régime s'est approprié tout
ce demi-siècle ainsi que tout l'argent investi par l'Union soviétique jusqu'à
la fin des années 80. Et maintenant, voici qu'il semble vouloir acheter encore
plus de temps ! La communauté internationale devrait lui dire basta ya ça
suffit. Dire au régime qu'il faut donner au peuple cubain les libertés civiles,
politiques, économiques et sociales qu'il réclame.
Quelle est la situation pour les prisonniers politiques ?
Au 31
décembre 2006, nous avons recensé 283 prisonniers pour raisons politiques,
contre 333 fin 2005. Il y a donc eu une diminution, mais simplement à cause des
personnes qui arrivaient en fin de peine. En outre, le régime semble éviter
désormais les condamnations à de longues peines et préfère, contre les
opposants, des sanctions «de basse intensité», des détentions de quelques heures
ou de quelques jours, la destruction du matériel de travail... Au-delà du cas
des prisonniers politiques, le système est très répressif : 80 000 Cubains sont
actuellement en prison. Rapporté à la population de l'île [11 millions
d'habitants, ndlr], c'est sept fois plus que dans un pays tel que l'Espagne, par
exemple.
La confirmation de Raúl Castro dans le cas du décès de Fidel peut-elle
changer la donne ?
Je ne crois pas. Raúl Castro partage la même peur que
son frère, qui les paralyse : celle de perdre le contrôle de la situation en
amorçant la moindre réforme, la moindre ouverture. Fidel et Raúl ont fait les
mêmes choses, avec comme résultat des milliers de fusillés et des dizaines de
milliers de condamnés. Les orphelins et les veuves sont vivants. Un jour, ils
risqueraient de réclamer justice. Un processus de réformes pourrait ouvrir la
boîte de Pandore sur laquelle est assis le régime. Nous défendons la
réconciliation et le pardon entre tous les Cubains, mais il faudrait que justice
soit faite.
Pourquoi les Cubains ne protestent-ils pas ?
Dès son arrivée au
pouvoir, la nomenklatura, formée d'anciens militants à commencer par Fidel
Castro , s'est empressée de tuer tout esprit de rébellion, toute inclination à
manifester son mécontentement, avec une poigne de fer totalitaire. Le sentiment
commun aux Cubains est le découragement : il faut attendre, patienter. Même
l'université, là où sont les jeunes en âge de se rebeller, ressemble à une
crèche sous contrôle policier. La moindre incartade et c'est l'expulsion ou la
prison. Mais c'est vrai partout dans la société : la moindre incartade et c'est
la perte de son emploi ou de sa maison. Quant à la dissidence, elle ne rassemble
que 2 000 ou 3 000 personnes et les rares tentatives d'union des différentes
formations ont été écrasées, réduites au silence. Il n'y a donc aucune chance
que des pressions intérieures finissent par provoquer des changements. L'autre
solution serait la pression internationale. Mais Fidel ne l'écoute pas, ne
l'entend même pas. Un jour, il a visité la Corée du Nord. A son retour, ça lui
est venu du fond du coeur, il s'est dit «émerveillé de la discipline de ce
peuple» . Pour Raúl Castro et, derrière lui, pour la nomenklatura, il est
beaucoup plus simple que rien ne change.