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(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
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17 janvier 2007

L'automne du Commandante

L'automne du Commandante
Nina KHROUCHTCHEVA
Mis en ligne le 17/01/2007
Professeur en relations internationales à la New School University (New York)

Seul Gabriel Garcia Marquez saurait trouver les mots justes pour décrire l'attente de la mort de Fidel Castro. Son roman "L'automne du patriarche" capture parfaitement la misère morale, la paralysie politique et l'ennui féroce qui ensevelit une société attendant la mort d'un dictateur au long cours.

Le départ du pouvoir du commandante Fidel n'est qu'une question de biologie, et les rares photos de lui qui ont paru depuis qu'il est tombé malade l'année dernière montrent clairement la nature au travail. Quand la fin viendra, le changement à Cuba pourrait bien avoir autant d'ampleur que n'importe lequel de ceux qui ont salué la fin des grands dictateurs du siècle dernier.

Staline, Franco, Tito, Mao : leurs méthodes et leurs moyens se ressemblaient tous. La manière dont ils sont sortis de scène a souvent été très différente en revanche, et ces différences modèlent les sociétés pour les années et les décennies qui suivent leur mort.

Prenons l'exemple de l'Union Soviétique. Le 9 mars 1953, du Golfe de Finlande à la mer de Béring, tout s'arrêta, tout comme à Varsovie, Budapest, Prague et Berlin-Est. A Beijing, Mao Zedong lui-même salua bien bas une immense effigie de Joseph Staline. D'immenses foules en deuil, éplorées, presque hystériques, s'épanchèrent dans le vaste empire sur lequel Staline avait régné.

Et pourtant, en quelques jours, le mot stalinisme était supprimé d'un nouveau dictionnaire soviétique, et trois ans plus tard mon grand-père, Nikita Khrouchtchev, dénonçait le "culte de la personnalité" de Staline dans son célèbre "discours secret" lors du XXe congrès du Parti communiste. Le dégel qui suivit fut de courte durée, mais pour la première fois dans l'histoire soviétique la possibilité d'un changement avait été envisagée - possibilité que Mikhaïl Gorbatchev saisit en 1985.

La mort du maréchal Josip Broz Tito provoqua des effusions d'une tout autre sorte. Pendant des décennies, son règne avait imposé une fausse unité en Yougoslavie. Après sa mort en 1980, cet état artificiel commença à se désintégrer, culminant avec les guerres génocidaires de Bosnie, Croatie et du Kosovo dans les années 90.

Mais toutes les longues dictatures ne se terminent pas en désintégration et en chaos. La mort de Mao permit le retour d'exil de Deng Xiaoping tombé en disgrâce. Deng mit rapidement en déroute les héritiers de la "bande des quatre", et en quelques années à peine, ouvrit l'économie chinoise, nourrissant une révolution capitaliste qui transforma la Chine plus complètement, et avec plus de succès, que la révolution socialiste de Mao ne l'avait jamais fait. Bien sûr, le Parti communiste reste au pouvoir, et le portrait de Mao trône encore sur la Place Tienanmen. Mais l'un comme l'autre ne sont plus que des reliques d'idées et d'idéaux qui en réalité ont été relégués à la corbeille de l'histoire.

L'Espagne, elle aussi, a échappé à la dissolution violente quand la dictature fasciste du généralissime Francisco Franco s'est effondrée à sa mort. Le vieux dictateur peut s'attribuer le mérite cette réussite, puisqu'en restaurant la monarchie du roi Juan Carlos juste avant de mourir, il donna à l'Espagne une fondation sur laquelle se reconstruire. Franco était loin d'imaginer que Juan Carlos allait bâtir, aidé d'un intelligent et jeune bureaucrate de l'époque franquiste nommé Adolfo Suarez, l'Espagne moderne et démocratique d'aujourd'hui.

Ce n'est pas un hasard si les pays communistes étaient (et sont encore) généralement dirigés par des gérontes, et les démocraties par des hommes et des femmes plus jeunes. Cette différence a son importance. De vieux dirigeants peuvent présider avec succès des pays où tout fonctionne tranquillement, et qui ne nécessitent pas de nouvel examen de leurs politiques et de leurs objectifs. Il y a des exceptions à cette règle, naturellement - Churchill, Adenauer, Deng, Reagan - mais les Etats ne peuvent compter sur la fortune pour leur accorder un dirigeant exceptionnel. Les dirigeants plus jeunes sont plus susceptibles d'être aptes à gérer les multiples changements des époques difficiles.

La compétition politique oblige tous les politiciens, quel que soit leur âge, à rester alerte, à anticiper les problèmes et à rester ouverts à de nouvelles idées. Personne ne peut rester bien installé à ses hautes fonctions à attendre sans rien faire que la mort ou l'ennui vienne le prendre. Les systèmes à parti unique, les dictatures jouant sur le charisme d'un seul homme ou un mélange des deux, comme dans la Yougoslavie de Tito, sont une garantie de sclérose des esprits et d'inertie des gouvernements.

Que va devenir Cuba après la mort de Fidel ?

Beaucoup d'observateurs décrivent Raúl Castro, le plus jeune frère de Fidel et son successeur désigné, comme un pragmatiste - le "Castro pratique". Quand les largesses soviétiques ont cessé au début des années 1990, c'est Raúl qui a compris que la survie du régime dépendait de réformes économiques et a fait pression pour permettre que les marchés agricoles privés soient réouverts afin de dynamiser la production et éviter une possible famine.

Cependant, c'est le même homme qui, à la tête de l'appareil de sécurité interne de Cuba, a représenté pendant de nombreuses années la main de fer du régime, et qui est directement responsable de l'emprisonnement et souvent de la torture, de milliers de dissidents... Alors peut-être que le mieux que l'on puisse espérer est une expérience à la russe avec une libéralisation vite étouffée par la vieille garde nerveuse du régime.

En outre, avec le soutien d'alliés riches en pétrole comme le président vénézuélien Hugo Chávez - et avec la découverte récente de réserves de brut au large des côtes cubaines, l'introduction de réformes pourrait très bien se faire moins urgente. Dans ce cas, Raúl pourrait tenter de s'accrocher fermement au système fossilisé qu'il a contribué à créer et à maintenir avec tant de brutalité.

Mais Raúl Castro est lui-même un vieil homme, on peut donc espérer qu'un Deng ou, mieux encore, un Suarez, émerge du naufrage du castrisme. Cela dit, pour le moment, les représentants communistes cubains les plus jeunes, comme le ministre des Affaires étrangères Felipe Perez Roque, restent des fanatiques de l'idéologie que beaucoup de Cubains surnomment "los Talibanes". S'ils prennent le pouvoir et gardent le doigt sur la détente, Cuba pourrait bien devoir affronter une nouvelle et bien longue leçon de biologie.

© Project Syndicate, 2007
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=11&subid=118&art_id=326336

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