Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
(Pas le) Centre Ernesto Che Guevara
Publicité
Archives
23 novembre 2006

CUBA: prévisions politiques pour demain et après-demain

Opinions
CUBA: prévisions politiques pour demain et après-demain
09:26  |  23/ 11/ 2006

Version imprimée

Par Piotr Romanov (Partie I)

Les prévisions politiques ont ceci de commun avec les prévisions météorologiques ou sismiques qu'il est toujours plus facile de prédire ce qui se passera dans deux ans que ce qui arrivera demain matin. Pour cette raison, ce que le lecteur lira plus bas ne prétend naturellement pas à la vérité absolue. Ce n'est qu'une réflexion sur ce que pourrait devenir Cuba après le départ définitif de Fidel Castro de la scène politique.

Au cours d'un récent voyage à La Havane j'ai entendu une multitude de prévisions, dont chacune était à la fois vraisemblable et fragile. Parmi mes interlocuteurs, un seul a affirmé qu'il ne se produirait rien de particulier à Cuba après le départ de Fidel. "Raul a déjà posté ses gars de l'armée un peu partout et dans les secteurs économiques clés, si bien que tout se passera en douceur, "dans la crainte de Dieu", a-t-il affirmé d'un ton moqueur.

D'ailleurs, de ces propos on peut, si l'on veut, tirer une conclusion diamétralement opposée. Ainsi que l'a fait remarquer un autre pronostiqueur, "ces gars de l'armée dévoués à Raul, dès qu'ils ont reçu des places lucratives dans différentes sociétés gérées et financées par des étrangers, ont très vite compris ce qui est bon et ce qui est mauvais pour eux et ils sont déjà corrompus au point qu'ils pourraient cesser de soutenir l'ancien régime pour devenir la "cinquième colonne" des Etats-Unis et apporter une assistance beaucoup plus efficace à la Maison-Blanche que toute l'émigration cubaine tapageuse basée à Miami". J'ai eu du mal à contredire mes deux interlocuteurs: je suis étranger et ils habitent La Havane.

Toutes les prévisions que j'ai recueillies pourraient être ramenées à ce qui suit: il est évident que des changements à Cuba sont inévitables. Il n'est cependant pas moins évident que ces changements, sérieux et importants, seront précédés d'une étape intermédiaire liée au nom de Raul qui, d'ailleurs, est âgé et malade et ne bénéficie pas du même soutien que Fidel. Fait curieux: les chauffeurs de taxi cubains dont je me suis offert les services (ce sont dans leur majorité d'anciens militaires) sont dans leur quasi-totalité des "fidélistes" mais aucun d'entre eux n'a parlé en bien de Raul, leur ancien chef et actuel ministre de la Défense. J'en ai conclu que l'étape de transition ne sera pas longue et ne se déroulera pas obligatoirement "dans la crainte de Dieu". Des surprises désagréables pour Raul ne sont donc pas exclues.

Enfin, en revenant aux évidences, il est facile de deviner que le sort de Cuba sera déterminé par des gens qui occupent actuellement le deuxième, le troisième, voire le quatrième rang dans la hiérarchie politique et militaire cubaine. Ce sont eux qui seront obligés de répondre aux principaux défis par l'époque, les Etats-Unis et leur propre peuple.

Les défis de l'époque n'échappent pas à la compréhension des Cubains. Premièrement, c'est un peuple intelligent, entreprenant et habile. Beaucoup ont le sens des affaires. A preuve les émigrés cubains dont la majorité, ayant gagné la côte américaine "dans le plus simple appareil", constituent aujourd'hui une partie de la classe moyenne des Etats-Unis, à la différence d'autres Latino-Américains. On en trouve parmi les ministres, on en trouve au Congrès. Et deuxièmement, c'est déjà un cadeau de Fidel, les Cubains ont dans leur grande majorité une bonne instruction qui les place au-dessus du Latino-Américain moyen. A l'époque de Fidel, les enfants cubains n'ont probablement pas mangé beaucoup de sucreries mais ils n'ont jamais manqué de livres et de manuels.

Les défis venant du côté de l'Amérique sont également évidents. Malheureusement, le bavardage rhétorique mis à part, on constate le désir pur et simple de ramener Cuba dans l'orbe des Etats-Unis. A cette seule différence que si dans le passé les Américains considéraient Cuba comme une plage splendide avec tous les attributs qu'ils avaient l'habitude d'imaginer (prostitution, maison de jeu, hôtels de luxe, cabarets), aujourd'hui d'autres choses les intéressent: le nickel cubain et les importants gisements de pétrole découverts récemment non loin des côtes de la Floride. Comme il est impossible de fabriquer des armes modernes sans nickel et que l'automobile, objet de prédilection de tout Américain, ne peut rouler sans carburant, ce sont là, pour les Etats-Unis, des stimulants supplémentaires sérieux pour s'ingérer avec obstination dans les affaires de Cuba.

S'il existe quelque chose qui cimente réellement aujourd'hui la nation cubaine, c'est l'anti-américanisme que la politique irrationnelle de Washington ne cesse d'encourager. Un de mes interlocuteurs cubains, opposant au régime, a fait remarquer avec ironie: "Si les Américains étaient assez intelligents, ils auraient depuis longtemps étouffé les Cubains entre leurs bras mais ils préfèrent exhiber en permanence leur hostilité à La Havane. Je pense que Fidel doit être reconnaissant pour cela aux Etats-Unis. Cette bêtise dure depuis des dizaines d'années, que ce soit sous les républicains ou sous les démocrates".

L'élite politique cubaine de la future étape de transition aura beaucoup plus de mal à répondre aux défis de son propre peuple. Les principaux sont la pauvreté et l'absence de libertés politiques. Les deux sont naturellement liées entre elles. Le rêve de certains responsables de trouver une version locale de l'option chinoise - laisser le système politique intact et ouvrir le marché - relève de l'utopie. La différence de traditions, de tempérament, de poids géopolitique et beaucoup d'autres choses ne permettent pas de le réaliser sur le sol cubain.

Le dilemme pour les futurs dirigeants cubains consiste en ce que, d'une part, ils ne pourront pas en finir avec la pauvreté omniprésente sans créer un marché véritable et sans autoriser l'initiative privée - les programmes sociaux nationaux, anciens et actuels, d'aide à l'homme de la rue ne sont qu'un moyen de survivre, incapable de résoudre ce problème, et d'autre part, la libre entreprise et la liberté économique, vu le caractère cubain dont nous avons parlé plus haut, finiront inévitablement par balayer dans un certain temps l'ancien système politique.

Comme je l'ai déjà dit plus haut, Fidel n'a rempli qu'une partie de la mission que lui avait confiée son maître idéologique José Marti. Il a donné une souveraineté véritable à Cuba mais n'a pas bâti de démocratie véritable. C'est une question de fond. Il s'agit des choses les plus élémentaires: des élections libres, de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, du pluripartisme. Le patriote cubain doit, à mon avis, se charger de réaliser pleinement l'objectif fixé par José Marti. Le peuple cubain mérite que son choix soit accepté et respecté. Seulement, pour que le choix soit effectivement libre, le système politique actuel de Cuba doit rester dans le passé. (à suivre)

http://fr.rian.ru/analysis/20061123/55910067.html

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité