"Jineteras", la chair triste de Cuba
"Jineteras", la chair triste de Cuba
Le
28-06-2006 à 19:14
L'écrivain Amir Valle publie "Jineteras", le résultat de neuf années
d'enquête sur le développement de la prostitution à Cuba.
Tati, "la
fabulosa", s'est consacrée à la prostitution depuis son enfance et est morte à
19 ans des suites des blessures d'une bagarre de rue. L'auteur Amir Valle se
rappelle d'elle comme d'une belle et jeune fille, entourée d' une auréole
d'innocence qui se brisait dès qu'elle ouvrait la bouche pour parler. Elle lui a
compté sa vie dans un langage tellement grossier que le journaliste a dû
consacrer plusieurs heures à le retranscrire.
Les témoignages de Tati et d'autres prostituées cubaines
apparaissent dans "Jineteras", le résultat de neuf années d'immersion d'Amir
Valle dans le côté occulte de la société cubaine.
Bien qu'il vienne
d'être publié par la maison d'édition espagnole "Planeta", le texte s'était déjà
converti en un best-seller clandestin à l'intérieur et hors de Cuba. Il y a six
ans, Valle a présenté une version initiale de son essai au concours littéraire
Casas de las Americas-- où il a bien entendu été ignoré -- mais quelqu'un l'a
récupéré, scanné et l'a mis en circulation sur l'Internet sans sa permission.
Dans "Jineteras" on écoute les voix de personnes de tous les niveaux de
la société cubaine insérées dans le vaste réseau du jineterisme, certaines
identifiées par leurs noms. Elles exposent sans tabou les mécanismes de survie
et d'exploitation dans le vaste secteur marginal, minoré ou ignoré par le
gouvernement cubain.
Valle, âgé de 39 ans, croit au contraire que la
prostitution a été étendue de manière alarmante, et calcule que quelques 20.000
prostituées exercent de manière régulière ou sporadique à Cuba. Le journaliste
réside à Cuba et a récemment répondu au questions d'un journaliste du Nuevo
Herald depuis Berlin, où il est actuellement grâce à une bourse littéraire.
A quoi peut-on attribuer le fait que la jinetera soit devenu un
symbole de réussite à Cuba ?
Je crois qu'un changement dans la
conscience sociale s'est produit à Cuba . Avant la Révolution, les figures les
plus détestées étaient la pute et le mouchard (chivato). Aujourd'hui, pour
beaucoup de familles cubaines ce n'est pas un traumatisme qu'une fille soit
jinetera. J'ai même été avec des familles qui font des blagues sur un futur
ainsi pour leurs petites filles.
Depuis 20 années être un professionnel
diplômé à Cuba ne signifie plus rien : les marginaux atteignent de meilleurs
niveaux de vie que les universitaires. Les prostituées et les vendeurs
clandestins de rhum et de tabac se sont transformés en symboles de succès.
Bien que pendant des décennies on ait éduqué les gens dans la croyance
que les stimulants moraux étaient plus importants que les stimulants matériels,
cela n'a servi a rien dans la mesure où les Cubains ont commencé à entrer en
contact avec les modèles de vie étrangers : d'abord avec les voyages de la
Communauté [exilés cubains aux Etats-Unis], à partir de 1979, et ensuite avec le
tourisme. Les gens ont commencé à remettre en question les choses imposées,
parce qu'ils ont commencé à avoir des points de comparaisons.
Ma thèse
est que la prostitution n'a jamais disparu complètement de Cuba : ce qui s'est
produit durant les années 90 a été une manifestation d'un mal social devant la
pauvreté étendue à toutes les couches de la population. Dans une société emmenée
presque à l'extermination, toute forme de survie est acceptable. Ce qui arrive à
Cuba démontre que nous ne vivons pas dans une société différente des autres.
Dans les sphères officielles il y a un certain triomphalisme à
cause du supposé contrôle qui a été obtenu sur la prostitution. Partages tu
cette opinion ?
Ce qui s'est passé est qu'à la suite de la
répression qui a commencé en 1997, le phénomène s'est complexifié. Si avant les
jineteras étaient visibles, dans les secteurs des hôtels et dans les zones
touristiques, maintenant elles opèrent subrepticement depuis les quartiers
populaires, avec la complicité des voisins, qui prennent part souvent d'une
certaine manière à l'affaire.
Je crois que la société cubaine est passée
par différentes étapes depuis qu'on a découvert le jineterisme. En 1996, on
n'avait pas conscience de l'ampleur du phénomène. J'ai l'impression que les
autorités l'ont minoré et qu'ensuite le contrôle leur a complètement échappé.
Beaucoup des jineteras interviewées dans "Jineteras" sont
mineures. Jusqu'à quel point est étendue la prostitution infantile à Cuba
?
La majorité des jineteras sont mineures, et la majorité des
garçons (qui offrent des services sexuels aux touristes] n'ont pas non plus
l'age de 16 ans, qui est l'age de la majorité à Cuba.
.../...
J'ai été mis au courant de cas très alarmants de pédophilie avec des
enfants handicapés mentaux entre 1995 et 1997, qui sont arrivés à être divulgués
dans la presse officielle. J'ai compilé beaucoup d'information sur ceci, mais
c'est un sujet très sensible. J'ai décidé de ne pas citer les noms de parents
des victimes et j'ai finalement traité le sujet sur le terrain de la fiction
dans mon roman "les portes de la nuit" (2001).
.../...
Je ne
crois pas que les mesures répressives qui ont été adoptées -- comme arrêter les
jineteras et les envoyer dans des exploitations agricoles de rééducation -- vont
résoudre le problème.
Extrait
Témoignage de
Myrna, avocate et ex militante du Parti Communiste de Cuba, sur son expérience
comme prisonnière dans une exploitation agricole de rééducation.
Il y a
de tout dans ce monde : des pauvres filles qui sont entraîné par des souteneurs
; des peureuses qui ne peuvent pas affronter leur peur et qui cèdent aux
pressions, même de leurs maris, pour qu'elle se prostituent. Il y a celles qui
le font par plaisir sexuel pur ; celles qui ont parié sur le jineterisme pour
sortir du pays, et beaucoup d'autres innocentes qui, comme moi, payaient une
addition qu'elles n'aurait jamais pu imaginer.
Je ne me rappelle pas
combien de fois j'ai dû ouvrir les jambes pour que [un des gardes] se vide dans
moi. Ils nous alternaient. Ils avaient choisi les plus jolies et ils
alternaient. Une par jour. Avec la menace que leur influence pourrait faire que
nous pourrissions ici à jamais
[Il y avait aussi] des jeunes filles qui
ne supportaient pas et se suicidaient, comme Claire, une camagüeyana de 21
années, qui s'est pendue à un arbre avec un fil de fer qu'elle avait elle même
pris sur une clôture.