Après Fidel, le déluge...
Le samedi 18 mars 2006
Photo Martin Chamberland, La Presse |
L'APRÈS-FIDEL SE PRÉPARE
Après Fidel, le déluge...
La Presse
La Havane
Certains dictateurs font ériger leur statue dans tous
les parcs que compte leur pays. À Cuba, il n'y a pas le moindre petit
bronze de Fidel Castro. Pas avant sa mort, a-t-il décrété. D'ici là, le
vieux leader continue de prononcer des discours-fleuves, quitte à
retarder de plusieurs heures la diffusion des sacro-saints matchs de
foot. «Avec ce qu'il nous impose à la télé, pas besoin de statues en
plus!» s'exclame un Havanais.
À 79 ans, Fidel Castro semble
increvable. Mais celui qui fêtera 50 ans de pouvoir absolu sur Cuba en
2009 n'est pas éternel. On l'a d'abord vu faire une chute spectaculaire
en descendant d'une estrade. Puis, la CIA a estimé qu'il souffrait de
la maladie de Parkinson, et que ses fonctions mentales pourraient
bientôt commencer à se détériorer. Le régime a nié, bien sûr. Mais, en
coulisses, la succession se prépare.
«La question n'est pas
de savoir s'il y aura des changements ou pas. C'est inévitable. Ce qui
se décide en ce moment à Cuba, c'est si ces changements auront lieu
pour le bien du peuple et de façon pacifique», dit Oswaldo Paya, l'une
des principales figures de la dissidence cubaine, que La Presse a rencontré chez lui à La Havane.
Il flotte donc une odeur de fin de règne, mais l'avenir de Cuba demeure incertain. Assistera-t-on à une succession de type monarchique, où rien ne changera – à part les statues de Fidel que l'on commencera à ériger d'un bout à l'autre de l'île? Doit-on plutôt s'attendre à des tensions, à des règlements de comptes, à une vague de capitalisme sauvage déferlant tout droit de Miami? La Havane sera-t-elle envahie par des McDonald's plutôt que par des monuments à la gloire du Lider Maximo?
Raul et les autres
M. Paya est convaincu que le régime ne survivra pas à
la mort de Castro. Depuis trop longtemps, le gouvernement, c'est lui.
Et après lui, ça risque fort d'être le déluge. «Ce régime a développé
une dangereuse psychologie de la fin. Il n'a pas d'avenir et il le
sait. Alors, il veut punir la société en ne lui permettant pas un
avenir non plus.»
Les hauts gradés du régime, pourtant, ont
tout intérêt à ce qu'il y ait une transition sans heurts, estime Brian
Latell, ancien analyste de la CIA pour l'Amérique latine. Les
militaires, très impliqués dans la lucrative industrie touristique de
l'île, se contenteront fort bien d'une succession dynastique. Selon ce
scénario, Raul Castro, 74 ans, ministre de la Défense, prendrait la
tête du pays après la mort de son frère aîné.
«Il n'y a pas
d'opposition à Raul à Cuba, du moins pas à court terme. Les autres
leaders, militaires et civils, vont se rallier à lui parce que ce sera
dans leur intérêt. Ils ne veulent pas de violence», dit M. Latell,
auteur du livre After Fidel: The Inside Story of Castro's Regime and Cuba's Next Leader.
Dans un plan censé confronter les défis d'un Cuba postcastriste,
l'administration Bush estime justement devoir empêcher l'accession au
pouvoir de Raul. «La dictature de Castro tente par tous les moyens à sa
disposition de survivre et de se perpétuer dans une stratégie de
succession. La politique américaine doit travailler à enrayer cette
stratégie», lit-on dans ce plan de 400 pages, publié en 2004.
Nationalistes, les Cubains refusent que Washington se mêle de leurs
affaires après la mort de Castro. Certes, ils espèrent obtenir plus de
libertés, mais pas question de sacrifier leur indépendance. Ils se
souviennent trop bien de Batista, dictateur corrompu, qui avait laissé
la pègre américaine transformer La Havane en gigantesque casino. Ils
craignent l'annexion pure et simple. «Les États-Unis veulent faire de
Cuba le prochain Porto Rio», peste Alexis Grela, un barbier havanais.
Tensions possibles
Brian Latell n'exclut pas un scénario plus sombre.
Après 50 ans d'oppression et de rancoeurs étouffées, des tensions
risquent de surgir. Combien de Cubains, par exemple, voudront régler
leur compte aux voisins qui les ont dénoncés?
«Si la loi et
l'ordre commencent à foutre le camp, il pourrait y avoir des exilés de
Miami qui retourneront à Cuba pour tenter d'influencer les événements,
dit-il. Alors, la situation risquerait de devenir très précaire.»
Peu après avoir pris le pouvoir, en 1959, Castro a nationalisé toutes
les entreprises de l'île sans compensation. La bourgeoisie cubaine qui
s'est enfuie à Miami attend toujours sa revanche. Le rapport présenté
par l'administration Bush en 2004 fait état de 6000 demandes de
réparation pour les expropriations effectuées par le régime castriste.
Les plus pessimistes prédisent une guerre civile si les exilés se
mettaient en tête de débarquer dans l'île comme des conquistadores pour
réclamer leur dû après la mort de Castro.
Oswaldo Paya,
président du Mouvement pour la libération chrétienne, fait tout pour
éviter un tel désastre. Une autre voie, entièrement cubaine, est
possible, dit celui qui tente de susciter un dialogue national sur
l'avenir du pays. «Nous voulons décider de notre propre transition,
dit-il. Maintenir ce qui est positif, comme l'éducation et les soins de
santé gratuits, tout en ouvrant le pays aux droits et libertés
économiques, sans pour autant tomber dans le modèle extrémiste
néolibéral.»
«Nous ne voulons plus vivre sous cette
oppression, mais nous n'avons pas besoin d'une intervention étrangère,
conclut M. Paya. Nous croyons pourtant que le changement est possible
et que nous n'avons pas à nous entretuer.»
http://www.cyberpresse.ca/article/20060318/CPMONDE/60317094/5682/CPMONDE